Alors que l’Allemagne et les Etats-Unis s’attaquent sans relâche au cœur bancaire du système suisse, certains en sont encore à couper les clopes en quatre.
«Taper du poing sur la table», tout en «montrant les dents», en «gonflant les muscles» et en «haussant le ton», sans oublier «d’arrêter de se coucher»: l’exercice peut paraître un tantinet acrobatique.
Mais enfin quand il s’agit de menacer l’Allemagne et ses vilains Länder, coupables de refuser le bel accord Rübik et s’affirmer preneurs de toutes nouvelles compromettant la discrétion des banques suisses, rien n’est trop fort ni exagéré pour nos parlementaires fédéraux. L’UDC dans cet exercice se montre indépassable, s’effarant que «les Länder fédéraux allemands dirigés par les socialistes pratiquent du recel». Rien que ça.
Evidemment, trépigner et s’indigner, crier au voleur et à l’assassin, déplorer, comme le conseiller national de Buman, qu’il n’y ait «plus d’éthique», cela serait sans doute plus facile si on était soi-même réellement bien propre des pieds à la tête. Si l’on menait, autrement dit, «une vraie politique de l’argent propre», ainsi que le rêve à voix haute le socialiste Jean-Christophe Schwaab.
Le même enthousiasme féroce se retrouve pour stigmatiser la légèreté d’Eveline Widmer-Schlumpf. Le crime de la ministre des finances? Se laver les mains de la fameuse livraison par nos banques aux autorités américaines de dizaines de milliers de noms d’employés. «Une nouvelle capitulation», tonne l’UDC Hans Kaufmann, qui livrerait «des innocents» aux crocs acérés des services fiscaux américains. Pire, un pas de plus en direction de la mère de toutes les capitulations: «la suppression définitive du secret bancaire».
On peut bien se gausser de ces rodomontades parlementaires qui sonnent un peu comme l’indignation du gros garçon pris la main dans le pot de confiture ou la mauvaise humeur de Picsou assis sur son tas d’or. Nul ne peut pourtant nier que les différents fiscaux avec des grandes puissances ou des pays voisins ne s’accumulent, et qu’il s’agit là d’un enjeu majeur et durable.
La maison donc brûle bel et bien, mais pendant ce temps il se trouve quelques professionnels de la politique pour soutenir une énième initiative anti-fumée. Un texte visant à «éteindre» définitivement les dernières poches de permissivité dans certains cantons, qui autorisent l’insoutenable: des fumoirs avec service, on mesure l’infamie.
Le parlement n’en a pas voulu, Alain Berset non plus, qui en appelle à la mesure, au consensus à la Suisse, et au respect du fédéralisme. «Mais la population suivra», constate avec justesse le monomaniaque croisé anti-clope Jean–Charles Rielle. Entre les non-fumeurs et les fumeurs honteux, chaque votation contre la fumée recueillera en effet au minimum 70% des suffrages.
Autant voter tout de suite l’interdiction absolue, totale et définitive, à laquelle inévitablement conduit cette logique qui considère, au prétexte qu’ils sont moins de 30% désormais, que les fumeurs n’existent tout simplement pas. Quand Rielle dit que les Romands «seront heureux de retrouver partout des établissements sans fumée», il ne parle bien sûr que des Romands non-fumeurs, mais n’éprouve plus le besoin de le préciser.
Bien sûr, la cause du tabac n’a rien de sympathique ni de défendable, mais le même principe intolérant peut facilement resurgir dans des situations plus sérieuses. Le taux de fumeurs en Suisse par rapport aux non-fumeurs est à peu près équivalent à celui des Romands par rapport aux Alémaniques, ou des étrangers vis à vis des Confédérés. Pour ne prendre que ces exemples-là.
Il n’est pas sûr enfin que cela représentera une bien grande consolation, quand la Suisse bancaire aura été mise à genoux, de se retrouver avec un pays non seulement vertueux mais totalement sain, peuplé de pieux bergers aux impeccables poumons blancs et à la gorge claire.
Seuls pourtant les mauvais esprits toussotants penseront que s’il existe bien une fumée dite passive, l’intolérance crasse et la facilité politique, elles en revanche s’avèrent toujours très actives.