La croissance démographique inquiète surtout l’UDC et les Verts, mais aussi, de plus en plus, l’ensemble de la classe politique. Encore un moyen de se faire peur à bon marché?
Huit millions donc, et ça serait trop. Huit millions de Suisses, ou du moins d’habitants de la Confédération, pensez, imaginez le désordre, l’anarchie, la monstrueuse vague humaine. Passé l’instant d’effarement, cette marge démographique sur le point d’être franchie préoccupe, sans surprise, surtout deux formations politiques: l’UDC et les Verts.
On se gardera évidemment de conclure, même si la conclusion apparait quand même imparable, que les Verts comme les UDC n’aiment pas trop ça, les Confédérés, puisque moins il y en a, mieux, à les écouter, le monde se porterait.
L’UDC bien sûr, forte de la statistique voulant que cette croissance démographique soit provoquée à 80% par «le solde migratoire», ressort sa vieille et inusable panoplie de mesures anti-étrangers en tout genre. Durcissement de la politique d’immigration, initiative contre l’immigration de masse, contingents annuels réintroduits pour les travailleurs étrangers, les requérants, les frontaliers, durcissement des conditions de nationalisation.
Les Verts eux, trouvent aussi que huit millions, c’est beaucoup. Au nom d’une croissance «qualitative de l’économie», les Verts, par leur vice-président Bastien Girod, réclament une croissance sélective des branches qui emploient avant tout du personnel local. Ce qui aurait pour effet un ralentissement de l’arrivée des travailleurs étrangers.
Plus prudents, les socialistes estiment que huit millions «techniquement cela serait certes possible, mais pas souhaitable». Le PLR lui souhaite mettre un frein au regroupement familial des ressortissants extra-européens. Ainsi que des Martiens, cela va sans dire.
L’ennui avec cette idée abstraite et indémontrable du «trop», c’est qu’elle incite immédiatement à regarder tout autour de soi pour pointer, vite, les surnuméraires. Tous, d’abord, parmi ces huit millions ne sont pas autant suisses que les autres. Il y en a des «avec» certificats d’authenticité et des «sans».
Et tant pis si les uns comme les autres participent tout autant et tout également au mitage du territoire et aggravent la crise du logement. Tant pis aussi si l’empreinte carbone et le poids écologique d’un habitant de la Confédération avec passeport ne diffère pas sensiblement de celle d’un habitant «sans».
D’ailleurs même parmi les détenteurs du blanc-seing à croix fédérale, certains s’ingénient à le paraître moins que d’autres, suisses. Les Jenisch par exemple, à ne surtout pas confondre avec les Roms, même si la tentation est forte n’est-ce pas, d’assurer que tout ça, c’est Gitans, Romanichels, voleurs de poules et compagnie.
Heureusement Urs Glaus, avocat et directeur de la fondation «Assurer l’avenir des gens du voyage suisses» dévoile l’élément décisif qui permet la différentiation: «Les Roms considèrent par exemple les toilettes comme quelque chose d’impur et vont parfois jusqu’à détruire les installations sanitaires. Ils préfèrent faire leurs besoins dans la nature…» Sous-entendu: tandis que nos Gitans à nous, nos bons vieux Jenisch sont au moins sont aussi propres que nous.
Sans que l’on sache plus bien qui est ce «nous». D’autant moins que la démographie, comme c’est ennuyeux, se moque joliment des origines, des couleurs et des coutumes, et même s’en tamponne: la Suisse compte huit millions d’habitants, punkt!
N’empêche. Si l’on considère que la surpopulation est un problème à traiter à l’échelle planétaire et point du tout nationale, que le taux de fécondité en Suisse stagne à 1,5 quand il devrait être à 2,1, que la pyramide des âges accuse un déficit préoccupant de sang frais, que le taux de chômage s’entête à ne pas augmenter, on ne pourra que féliciter ceux qui n’ont pas commenté ce non-évènement: huit millions d’habitants en Suisse.