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Chronique du Premier Août

A l’heure de l’examen de conscience patriotique annuel, trois motifs principaux de satisfaction semblent émerger et gonfler les coeurs: l’économie, l’économie et l’économie. Faut-il rougir de cette prospérité?

«L’économie, imbécile.» Le légendaire cri du cœur électoral de Bill Clinton pourrait bien servir chez nous cette année d’antienne patriotique. A l’heure auguste où il est de tradition de se scruter le nombril confédéral, et où il apparaît surtout, en creux, que le reste du monde tire méchamment, et donc économiquement, la langue.

Alors par comparaison, l’Helvétie au travail peut afficher des statistiques de championne survitaminée. Voilà, l’économie, mais rien d’autre ou pas grand chose à mettre en avant. Dont on puisse du moins, allumettes de Bengale à la main et le cantique dans la gorge, se sentir réellement fiers.

Même les humoristes le disent, le proclament, tel Mix&Remix, le dessinateur de L’Hebdo, qui lâche dans l’autre magazine du groupe Ringier ce cri du coeur: «J’aime bien la Suisse quand elle est première en compétitivité mondiale, quand elle a le taux de chômage le plus bas d’Europe et quand…. vas-y Rodgeuuuur!!!».

Encore que là aussi, en sport, l’arbre, pardon, le baobab Federer cache bien une forêt des plus rachitiques. Une jungle de footballeurs par exemple qui ont réussi lors des jeux de Londres l’exploit peu banal de faire honte à la croix blanche aussi bien par leur absence que par leur présence. En y allant mais pour s’y comporter en sales gosses, ou pour d’autres en refusant d’y aller, par simple paresse ou convenance personnelle.

Certes, dans la désormais fameuse affaire dite «Morganella», du nom de cet iroquois valaisan ayant insulté sur Twitter le peuple coréen après que des natifs de ce pays l’aient conspué un match durant, on pourrait considérer que le cerveau reptilien de l’homo footbalisticus n’est pas le seul coupable. Que les réseaux sociaux, en lui servant de conque, de refuge, de prétexte et de détonateur, pourraient être considérés comme à peu près aussi bêtes que la bêtise à gros bouillons qu’ils hébergent.

Mais non décidément, il ne reste que l’économie. Ueli Maurer n’est évidemment peut-être pas la plus brillante fusée du Conseil fédéral. Mais il a dit au moins avec cette naïve franchise paysanne dont il faut bien créditer l’UDC, et qui résume sans doute ce que pensent, tout au fond de leur cœur, bien des Suisses, oui Maurer a osé le dire crûment à un journal allemand: «Nous sommes tout simplement le modèle du succès. La meilleure économie du monde.»

Quant au quotidien de référence, Le Temps, que nous dit-il en une et en gros caractères? Que l’histoire suisse, correctement revisitée, ça pourrait servir surtout à «bien négocier les défis de la globalisation». L’économie, on vous dit. Avant d’être archer, Tell n’était-il pas plutôt vendeur de pommes?

Il n’y a après tout pas de quoi rougir de cette prospérité, de cette obsession de l’économie. N’est-elle pas, cette prospérité, ce à quoi l’ensemble des peuples aspirent? Pour chasser au coin du feu patriotique les derniers miasmes de mauvaise conscience qui viendraient encore pourrir la fête, on pourra utilement considérer les sources glorieuses de ce vil bien être matériel made in Switzerland.

Telles que les énonçait par exemple, dans une tirade restée fameuse, le personnage du «Troisième homme» joué par Orson Welles, et qu’on ne cite que trop rarement dans les discours de 1er août: «Pendant 30 ans en Italie sous les Borgias, ils ont eu la guerre, la terreur, des meurtres et des massacres, mais il y a aussi Michel-Ange, Léonard de Vinci, et la Renaissance. En Suisse, ils ont eu 500 années d’amour fraternel, de démocratie et de paix, et qu’est-ce que cela a produit? Le coucou!» Eh, oui, le coucou, imbécile.