LATITUDES

La fin des records

Les statisticiens du sport observent un tassement des meilleures performances. Ils prédisent que les records seront moins nombreux à tomber.

Chacun atteint un jour son meilleur niveau — et «Homo sapiens» arrive peut-être à ses limites. «Tous les épidémiologistes du sport sont d’accord, explique le spécialiste Geoffroy Berthelot de l’Institut national du sport (Insep) en France. L’amélioration des performances sportives tend à ralentir. Cela se voit notamment au tassement des meilleures performances de l’année dans un nombre croissant de disciplines.» Certaines, comme par exemple les sauts en longueur ou en hauteur, sont même en régression par rapport aux années 1980. L’amélioration relative apportée par chaque nouveau record du monde se tasse elle aussi: en un siècle, elle a chuté de 2,5%, en moyenne par nouveau record, à 1%.

Les maths de l’athlète

Ces statistiques et moyennes ne capturent bien évidemment pas tout. Certains athlètes explosent les records et démontrent que l’humain reste imprévisible: l’Insep avait prédit en 2008 une limite inférieure de 9,677 secondes pour le 100 m, largement battue par Usain Bolt avec ses 9,58 en 2009. «Le marathon est également atypique, poursuit Geoffroy Berthelot. Il est aujourd’hui dominé par des athlètes de l’Afrique de l’Est à la morphologie très spécifique (très fins, ndlr), qui sont récemment apparus sur le devant de la compétition. Ils bénéficient désormais d’entraînements très poussés et font tomber les records. Mais cette dynamique va elle aussi s’épuiser: on finit toujours par atteindre un optimum physiologique. Ensuite apparaissent des problèmes physiques, comme pour les joueurs très grands recherchés en basket-ball.»

Pour Geoffroy Berthelot, les données historiques des records de chaque discipline s’organisent par paliers successifs. «Certaines progressions sont liées à une innovation technique telle que le rouleau dorsal en saut en hauteur ou aux modifications de règlement survenues, par exemple, en haltérophilie. On observe aussi des plateaux liés à la Seconde Guerre mondiale, mais certains changements sont plus difficiles à déchiffrer.» Les chercheurs de l’Insep estiment les valeurs maximales (asymptotiques) pouvant être atteintes par les athlètes en extrapolant ces courbes de progression. Ils prédisent ainsi que 90% des disciplines auront atteint leur maximum théorique (à 99,95%) d’ici à 2068.

«Ces prédictions présupposent bien sûr que les conditions des compétitions restent les mêmes. Nous ne pouvons pas prédire l’influence qu’apporteront des modifications de règlements ou l’arrivée de nouveaux matériaux. Du point de vue de l’entraînement et de la nutrition, nous pensons en tout cas qu’une forme d’optimum a déjà été atteinte.»

Changer les règles du jeu

Apparues à la fin des années 1950, les fédérations sportives ont grandement aidé à standardiser les compétitions, le matériel admis ainsi que les techniques d’entraînement, ce qui a fortement réduit la variabilité des performances. Mais le public veut voir de nouveaux records régulièrement tomber. En 2010, la Fédération internationale de natation (Fina) avait interdit les combinaisons en polyuréthane qui avaient fait exploser 108 records du monde deux ans auparavant. Mais la Fina a ensuite modifié les plots de départ en les inclinant légèrement afin de faciliter l’impulsion des nageurs. L’idée est claire: donner aux athlètes un petit coup de pouce afin de refaire tomber des records.

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Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex.