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Dura lex sed… dura

Perdre un Erythréen dans les bois, abandonner un chat blessé à son sort ou ne pas élire Ueli Maurer à la présidence de la Confédération: quand trop de droit ou pas assez tue pareillement le droit.

La vieille plaisanterie ne fait pas toujours rire qui vise à détourner l’aphorisme latin «la loi est dure mais c’est la loi», en cet autre tout aussi creux: «la loi est dure mais elle est dure». Peut-être parce qu’avec la loi la juste dose paraît rarement facile à prescrire. Et que des règlements, il y en a chaque fois ou trop ou trop peu.

C’est en tout cas ce que démontrent de récentes petites affaires, où l’on s’aperçoit que face à la loi les policiers en exercice sont souvent les premiers à perdre leur peu de latin. Ceux par exemple qui avaient abandonné un jeune trouble-fête érythréen de 16 ans en pleine nuit dans les bois de Sauvabelin, en l’aspergeant en sus de spray au poivre. Il aura fallu six ans de procédure pour que les pandores soient condamnés — certes pour la forme, avec respectivement 20 et 10 jours-amendes, avec sursis.

Leur tort? Cette habitude policière, sobrement intitulée «mesure d’éloignement» et consistant précisément à éloigner des endroits chauds les éléments trop turbulents. Outre que sur ce coup-là la mesure d’éloignement était «inadaptée, inappropriée et excessive», elle manquait surtout, ont jugé les tribunaux, de base légale.

Ce défaut de légalité débouche généralement dans les prétoires sur des débats gentiment surréalistes. C’est le lieutenant colonel Alain Bergonzoli, directeur de l’Académie de police de Savatan, qui vient dire que selon lui on peut sans problème laisser un gamin seul à Sauvabelin au petit matin. C’est le procureur Cottier qui rétorque que lui en tout cas ne serait «pas content si cela devait arriver».

A l’inverse, deux policiers argoviens se retrouvent victimes d’un trop-plein juridique. Sur dénonciation d’une ancienne collègue, les voilà accusés de non-assistance non pas à personne mais à chat en danger. Les deux flics appelés pour une affaire de chat blessé par une voiture, ne trouvent sur place qu’un peu de sang et ne poussent pas l’enquête plus loin. Or ils auraient du, selon en tout cas une loi cette fois d’une précision et d’une exhaustivité infernale. L’article 26, alinéa 1, lettre a, de la loi fédérale sur la protection des animaux vaut le détour: «Est punie de l’emprisonnement ou de l’amende toute personne qui intentionnellement maltraite un animal, le néglige ou le surmène inutilement, ou porte atteinte à sa dignité.»

Voilà au moins une loi parfaitement claire, qui permettrait sans contestation possible de déclarer criminel quiconque abandonnerait un chat dans les bois. Et plutôt deux fois qu’une si on lui a préalablement sprayé le museau au poivre.

Mais les pires, c’est-à-dire les plus solides, sont peut-être encore les lois non-écrites. Celle voulant par exemple que, par ordre d’ancienneté, tout conseiller fédéral accède l’heure venue à la présidence de la Confédération. Non écrite peut-être mais coulée dans le marbre, la règle, puisque pour y déroger il faut au moins avoir vendu père et mère. Ou comme le radical Eduard Müller, seul exemple connu de conseiller fédéral à qui la présidence promise fut refusée en 1918, avoir été pro-boches en temps de guerre.

C’est cette règle immuable que le PS espère pouvoir briser en décembre prochain en refusant à l’UDC Ueli Maurer le trône du président. Il est pourtant d’ors et déjà acquis que les «crimes» de Maurer ne seront pas suffisants pour faire plier la loi d’airain du tournus. Lui qui dans le dérapage n’ose guère aller plus loin que la saillie de communiante. Du genre: «Quiconque a encore toutes ses cases ne veut pas entrer dans l’Union européenne.»