CULTURE

La montagne a encore tué. Vraiment?

Les médias ont réservé une large place aux décès d’alpinistes survenus cet été, les attribuant à une montagne assassine. Une formulation révélatrice. Analyse.

«La montagne tue neuf alpinistes au Mont Maudit», «La montagne a encore tué au Mont Blanc», répètent les médias.

La montagne aurait-elle attendu le passage de plusieurs cordées pour déclencher une plaque à vent? Guette-t-elle la venue, à plus de quatre mille mètres, de montagnards mal équipés pour faire dégringoler sa température et congeler des malheureux? Largue-t-elle des blocs de pierre au moment précis où un groupe de marcheurs s’engage dans un déversoir?

A moins de partager une vision animiste de la nature, il est difficile d’accepter un point de vue qui responsabilise la montagne. Récemment, un cycliste est décédé suite à une glissade sur une grille métallique. Le compte-rendu n’a pas imputé le décès à la grille tueuse. On y a lu qu’«un cycliste s’est tué en chutant malencontreusement …»

Dans le cas des décès d’alpinistes, le succès de la formule «la montagne a encore tué» dénote une drôle de conception de la responsabilité humaine.

S’il est un écrivain qui a relevé ce rapport ambigu que l’homme entretien face au pouvoir de la nature, c’est bien Ramuz. Il a su questionner la toute puissance de la montagne et ses exigences, le respect que l’homme doit à son environnement.

Quand une partie des Diablerets (la montagne du diable) s’effondre, il y a des morts. Le diable les a-t-il tués? Dans «Derborence», Ramuz s’attache au seul survivant et à son difficile retour.

Dans «La grande peur dans la montagne», il raconte l’histoire d’Antoine, un berger qui se rend sur un alpage maudit, le Sassenaire, et en subit les funestes conséquences. Mont Maudit, Diablerets: la toponymie des lieux raconte elle aussi des histoires!

En quête d’aventures, d’adrénaline, d’extrême, les hommes aiment côtoyer des lieux à la hauteur de leurs exploits supposés. Ils sont de plus en plus nombreux à vouloir sortir des sentiers battus. Cinq himalayistes sont morts de froid le mois dernier… dans un file d’attente. Ils voulaient gagner ce Toit du monde de plus en plus convoité.

Quelques notions basiques de calcul de probabilité laissent entendre que les avalanches vont vraisemblablement emporter de plus en plus de «conquérants de l’inutile», vu leur nombre croissant. Quand quelque 20’000 personnes tentent d’atteindre chaque été le point culminant de l’Europe, pas étonnant que certaines soient victimes des dangers naturels qu’on y rencontre. Aller en montagne, c’est y risquer sa vie, s’éloigner du risque zéro en matière de prévention des accidents.

Non, la montagne ne tue pas. Je suis même convaincue qu’elle est habitée par de multiples «anges gardiens». Saison après saison, je les vois à l’oeuvre. Ainsi, le mois dernier, sur les hauts de la station autrichienne de Schruns, ils étaient aux côtés d’une équipe de randonneurs téméraires qui, chaussés de simples baskets, se sont aventurés sur un névé verglacé.

Deux cents mètres de traversée sur une pente très raide. Leur audace aurait pu se solder par des glissades probablement mortelles. Il n’en a rien été. Les anges ont fait leur boulot.

Quand on fréquente la montagne, on s’aperçoit qu’il s’y produit fort peu d’accidents compte tenu de la foule souvent imprudente qui s’y aventure.

Ces accidents sont le plus souvent le fruit de comportements humains inappropriés. De grâce, n’accusez pas la montagne! Elle est belle, attrayante, mais dépourvue de toute faculté de malveillance. A l’homme qui s’y aventure d’en évaluer les risques.