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Asile: un tour de vis sans vertu

A quoi bon s’indigner du durcissement de la loi sur l’asile voulu par le Conseil national? Le peuple pense de même, et les humanistes se retrouvent marginalisés aussi bien au bistrot que sous la Coupole.

Un tour de vis, un. Devant cet énième durcissement de la loi sur l’asile voulu par le Conseil national — à croire que les moutures précédentes avaient été le fait de laxistes irresponsables –, une question soudain se pose: que sont nos humanistes devenus?

Interrogation à laquelle l’ancien parlementaire Claude Ruey donne une réponse carrée, en distinguant désormais trois types d’énergumènes à l’œuvre sous la coupole et prêts à bouffer du requérant jusqu’à plus soif: «des lâches, des opportunistes et ceux qui n’ont rien compris». Chacun se reconnaîtra.

On assiste cette fois, il est vrai, à un tir de rafale totalement décomplexé. Restriction des possibilités de réexamen ou de demandes multiples; limitation du regroupement familial au conjoint et aux enfants; prolongation du délai d’obtention d’un permis de séjour de cinq à sept ans; ouverture de centres spéciaux pour les requérants délinquants et récalcitrants; régime sec de l’aide d’urgence pour tout monde, alors qu’il était réservé jusqu’ici aux seuls déboutés.

Leur brûler la pointe des pieds ou les passer à l’estrapade n’a en revanche pas encore été envisagé — il fallait sans doute se laisser un peu de marge pour la prochaine révision.

La mesure la plus étrange reste pourtant cette suppression de l’objection de conscience et de la désertion comme motif d’asile. C’est admettre ainsi qu’absolument toutes les forces armées d’absolument tous les régimes, y compris les plus dictatoriaux, jouissent de la même légitimité. Les soldats de l’armée régulière syrienne, contraints de massacrer femmes et enfants, seront ravis de l’apprendre.

L’importance et le nombre de ces mesures montrent que quelque chose soudain a changé. Que, comme s’en étrangle Beat Meiner, secrétaire général de l’OSAR (Organisation suisse d’aide aux réfugiés), «on ne s’attaque plus au problème des faux réfugié, on ne veut plus de requérants». Tout simplement.

Il serait néanmoins un peu vain de s’offusquer devant ces gonflements de biscoteaux auxquels les élus de droite se sont livrés sans bouder leur plaisir: le peuple pense la même chose, nous pensons la même chose. La gauche et les organisations comme l’OSAR le disent ouvertement: un référendum contre ces mesures serait «perdu d’avance».

La gauche semble d’ailleurs vouloir concentrer le combat contre une seule de ces mesures: le passage de l’aide sociale à l’aide d’urgence, que le Conseil aux Etats pourrait retoquer en septembre. Comme si les autres mesures étaient déjà devenues à peu près acceptables.

Notons que cette fameuse suppression de l’aide sociale est une proposition qui émane du nouveau président des radicaux Philipp Müller et qu’elle a été votée également par une bonne partie des PDC: seuls 9 conseillers de ce parti sur 28 l’ont refusée. La conseillère aux Etats démocrate-chrétienne Anne Seydoux s’en désole: «Il y a trop de gens au PDC qui suivent les tendances nationalistes. C’est facile d’être dans ce courant vu le succès de ces thèses en Suisse. Nous sommes dans une dérive générale.»

Même constat chez l’ancien président des Verts Ueli Leuenberger qui dénonce une «blochérisation des esprits». Avec une marginalisation des humanistes des camps radical et PDC, qui semble bien correspondre à ce qui se passe dans le pays: un «climat anti-étrangers», décrit par les associations.

La droite dure, elle, défend cette suppression de l’aide sociale, censée, selon Oskar Freysinger, «forcer la main» d’un Conseil fédéral contrait «dans ces conditions d’accélérer les procédures». Accélérer les procédures, tout le monde est d’accord, et c’est d’ailleurs la voie prônée par la ministre en charge du dossier, Simonetta Sommaruga.

Sauf qu’entre «lâches, opportunistes et mal informés», sous la Coupole comme au bistrot, on peine à s’entendre sur la bonne façon d’y parvenir. Et que devant l’absence d’une solution immédiate et miraculeuse, il est tentant de décréter paresseusement, cyniquement, qu’il n’y a plus rien à faire, sauf cadenasser la boutique.