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La Suisse au milieu des tempêtes

Face à la mauvaise humeur grandissante de ses voisins, la classe politique suisse répond à droite par l’autosatisfaction, à gauche par la paranoïa. Deux dénis de réalité?

Elle hésite, la classe politique suisse, au milieu des tempêtes mondiales grondant au loin: entre autosatisfaction et paranoïa, que choisir?

Se taper sur le ventre en claironnant à la ronde que chez nous au moins, sonnez corps des Alpes, résonnez hackbretts, le chômage n’en finit pas de baisser et les finances de s’assainir? Quand le reste de l’Europe, caisses vides et cœurs lourds, ne sait plus à quels plans de sauvetage se vouer. Se féliciter discrètement de cette chance inouïe: que l’action puissante de la BNS nous protège judicieusement d’un franc sinon trop fort?

Ou au contraire se dire que cela ne pourra forcément pas durer? Que le maintien artificiel du franc à un niveau acceptable par rapport à l’euro va finir par se payer de manière sonnante et surtout trébuchante? Qu’on va finir bientôt par nous haïr? Que cette insolente prospérité au milieu du désert va finir par se voir et déclencher des représailles de tous ordres, et venues de partout?

Que d’ailleurs cela a déjà commencé? Une fuite n’a-t-elle pas révélé le contenu d’une lettre alarmiste de l’ambassadeur suisse à Bruxelles, Jacques de Watteville, insinuant que taper sur la Suisse était là-bas un sport de plus en plus tendance?

Les prétextes à cette mauvaise humeur européenne ne manquent pas, outre évidemment la simple jalousie, qui n’est jamais à exclure. Des prétextes archi-connus et rabâchés — les différents fiscaux, la clause de sauvegarde brandie contre les huit nouveaux membres de l’Union, deux visions différentes du bilatéralisme, etc.

Face à cette paranoïa ambiante, il semble quand même que le «y en a point comme nous» autosatisfait continue de prédominer dans la classe politique suisse. Une petite famille où l’on aime minimiser les différends avec l’Union et gonfler l’importance des moyens de pression de la Confédération. Le conseiller national Carlo Sommaruga parle même «d’autisme» face à cette agressivité de l’Union européenne à notre égard. Notons que si la paranoïa semble être plutôt de gauche, l’autosatisfaction paraît mieux fleurir à droite.

Dans ce contexte et face à quelques échéances et négociations proches avec Bruxelles, une mauvaise nouvelle supplémentaire semble néanmoins donner raison aux paranoïaques. Le Conseil fédéral dans sa composition actuelle, et contrairement à ce qu’on avait pu imaginer, ne fonctionne pas mieux que les précédents.

Un Conseil pourtant rajeuni, féminisé et délivré de ses fauteurs de troubles — Blocher, Couchepin, Calmy-Rey.

Mais — revers logique de la médaille — en déficit criard de leadership, et paraissant naviguer à vue, chaque chef de département s’agitant seul sur ses dossiers sans paraître avoir le franc soutien du collège. «Conduite stratégique inexistante, trop peu de coordination et d’impulsions», dénonce même le «Le Temps».

Face à tant d’incapacités et de si profondes divisions, on ne pourra que pronostiquer, dans une version paranoïaque, moult désolations à venir et autres plaies d’Egypte.

A se laisser, au contraire, gagner par une douce vague d’autosatisfaction, on arrivera bien à se féliciter que ce ne soit pas pire. Avec une telle forme de gouvernement, avec l’absurdité de cette formule magique qui semble taillée pour un seul objectif — empêcher toute cohérence gouvernementale –, n’est-il pas déjà stupéfiant d’en être où nous en sommes? C’est-à-dire point trop mal lotis.

Pour se convaincre du miracle suisse, il suffirait ensuite de s’imaginer en quel capharnaüm un tel système conduirait n’importe quel autre pays. La France, par exemple. Oui, imaginons un gouvernement composé de deux socialistes, homme et femme — Hollande et Aubry –, de deux représentants formatés de la droite traditionnelle — Copé et Fillon — et d’un centriste énervant — Bayrou. Avec un siège laissé à la droite extrême comme un os à ronger — Marine Le Pen — et un autre à une droite faussement dissidente et ne représentant personne, genre Borloo ou Villepin.

Ce souk ressassé, qui ne tiendrait pas un jour, on se rendormira fort rassuré en applaudissant l’héroïsme discret de notre Conseil fédéral. Jusqu’au prochain mauvais rêve, demain matin, et ainsi de suite, comme le hamster dans sa roue, minuscule et gonflé d’importance, balloté entre la peur et l’euphorie.