CULTURE

Collectionner entre amis, sur la toile

Des plateformes en ligne permettent aux collectionneurs d’échanger des informations sur des artistes, des galeries ou des foires. Une auto-organisation qui marque la fin de l’isolement de ces acteurs et témoigne de leur poids croissant sur le marché de l’art.

Internet est une aubaine pour les collectionneurs. Livres anciens, disques introuvables, tout se chine désormais sur la toile. Des plateformes, à l’image du site Discogs.com qui joue le rôle de base de données encyclopédique de la musique et de communauté d’échange, alertent leurs membres quand un objet est mis en vente par un internaute.

L’art faisait exception à cette mise en réseau de passionnés jusqu’au lancement du site Independent Collectors en 2008 par le collectionneur berlinois Christian Schwarm et ses deux associés Ulrich Grothe et Uwe Thomas. «De manière générale, l’art est en retard au niveau technologique. Cela tient au fait que les galeries sont généralement de petites structures.

Bien qu’énorme par rapport à ses concurrentes, la galerie Gagosian ne compte pas plus de 100 employés. L’âge des collectionneurs joue également un rôle. L’âge moyen de notre communauté est de 48 ans, ce qui en fait sans doute la plus mûre d’internet», constate Christian Schwarm.

Autre explication de cette apparition tardive, le fait qu’on n’échange quasiment pas d’oeuvres d’art entre particuliers. «Il est beaucoup plus compliqué de vendre des oeuvres d’art que des pochettes de disque. Cela demande une logistique lourde. On ne peut pas envoyer simplement une pièce par FedEx. Il y a aussi le risque que l’oeuvre soit endommagée.

Et de toute façon, on ne peut pas faire l’économie de contacter un marchand pour se renseigner sur le prix de vente», explique le galeriste genevois Edward Mitterrand. Mais le but d’Independent Collectors n’est pas de créer un marché parallèle qui rivalise avec les maisons de vente aux enchères. «Nous avons une option «maybe» qu’un collectionneur peut cliquer pour indiquer qu’il est prêt à vendre une de ses oeuvres, mais elle est très peu utilisée. Nous mettons par ailleurs en garde nos membres sur les risques inhérents à ce type de commerce main à main», déclare le fondateur du site.

Les quelque 3’800 membres actuels du site l’emploient davantage comme une base de données sur laquelle ils téléchargent des visuels des pièces de leur collection. Ils ont la possibilité de montrer ce portfolio ou de le privatiser par un mot de passe. Entre collectionneurs aux goûts similaires, des dialogues peuvent alors se créer et l’information peut circuler. «Mon profil me permet de gérer ma collection, explique Stéphane Ribordy, jeune collectionneur et galeriste genevois. Le site m’a aussi permis de découvrir des artistes et de faire de nouvelles connaissances. J’ai rencontré par ce biais des collectionneurs de Los Angeles avec qui je partageais certains intérêts.»

«J’ai lancé Independent Collectors parce que je ne rencontrais jamais d’autres collectionneurs de mon âge, explique Christian Schwarm. Je me disais qu’il devait y avoir un moyen de les trouver en ligne. Le site fonctionne d’ailleurs surtout comme une plateforme d’organisation, le but étant de favoriser les rencontres dans la vie réelle.»

La Rosenblum Collection & Friends est un autre réseau de collectionneurs lancé par Chiara et Steve Rosenblum, un jeune couple d’Américains basé à Paris. Au coeur du dispositif, un espace convivial d’exposition que le couple a ouvert dans la Ville Lumière. «Nous voulons que chacun passe un bon moment dans cet espace, non seulement pour y découvrir des oeuvres d’art, mais aussi pour y flâner, s’y relaxer ou y dîner», explique Steve Rosenblum sur le site de la collection qui héberge aussi un réseau social sur lequel les «amis» du couple peuvent se retrouver.

A l’image des groupes de fans sur Facebook, ce sont les oeuvres d’artistes collectionnées par les membres du réseau qui fédèrent. «Sur cette plateforme, Chiara et moi montrons exclusivement des oeuvres d’artistes que nous collectionnons.

Nos amis fournissent d’autres oeuvres de ces artistes pour compléter les portfolios, sans intervention de galeries ou de collectionneurs institutionnels.» C’est ainsi que des réseaux ou de petits rhizomes se forment petit à petit sur le site. Cette auto-organisation des collectionneurs témoigne du poids croissant et de la confiance prise par ces acteurs sur le marché de l’art. Les cotes des artistes sont toujours plus influencées par l’entrée de leurs pièces dans de grandes collections.

Naguère discrets et esseulés, les collectionneurs prennent désormais plaisir à montrer leur collection à leurs pairs, ainsi qu’au public. «A Miami, les collections Margulies et De La Cruz viennent chacune de se doter d’un espace public. Les collectionneurs veulent démontrer qu’ils sont aussi capables de monter des expositions, qu’ils appartiennent au monde des institutions», analyse Edward Mitterrand. Une extraversion qui n’est pas jugée comme une concurrence ou un empiètement. «Elle sert les gens comme moi, affirme le galeriste genevois. Car cela montre aux clients jusqu’où peut mener l’activité de collectionneur.»
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Une version de cet article est parue dans la Revue Hémisphères.