GLOCAL

La déroute des vieux et des méchants

Du neuf, du sympa et du gentil. Voilà semble-t-il le vœu du corps électoral exprimé le 23 octobre. En période de crise, que peut bien signifier un choix aussi léger, sinon une saturation de la politique?

«Les Suisses votent UDC», qu’ils disaient sur leurs grandes belles affiches. On a vu. Ils ne sont «plus que» deux et demi sur dix à se laisser emberlificoter par le marketing blochérien.

Les Suisses votent donc désormais «centre éparpillé», c’est-à-dire à peu près n’importe quoi, pourvu, comme le PBD et les Verts libéraux, que ce soit neuf et sympa. Qui sont au fond ces gens-là? Pour les uns, des UDC qui n’osent plus vraiment l’être, l’UDC sans les fanfaronnades contre les étrangers, sans l’insécurité miroitée à tous les coins de rue, ni l’islamophobie en bandoulière. Même si la différence tient plus à la forme qu’au fond — si l’on en juge à travers la politique menée par Widmer-Schlumpf au Conseil fédéral, tant à l’Intérieur qu’ensuite aux Finances.

De même les Verts libéraux sont des Verts sans oser tout à fait l’être, des Verts qui veulent bien faire de l’écologie, pratiquer la défense de l’environnement mais sans toucher aux intérêts économiques. L’omelette oui mais sans casser d’œufs.

Dans les deux cas, ces deux jeunes petits partis se sont nourris sur le dos des gros, ont profité du dynamisme des Verts et de l’UDC, les ont largement parasités pour les laisser ensuite exsangues après leur avoir discrètement sucé le sang.

Le succès de ce genre de partis light traduit peut-être la lassitude et l’incertitude d’un corps électoral refusant à la fois le brouhaha des extrêmes et des dogmatiques — Verts et UDC — et la morgue des vieux partis — PDC et radicaux. Lesquels vieux partis tachent de faire bonne figure en se gaussant de leurs tombeurs Verts libéraux et PBD, comme des briscards se moquent de blancs-becs sans cervelle .«Feuille vide» selon Darbellay. «Pas d’image, pas de passé», pour Pelli.

Les méchants évidemment ne sauraient être meilleurs perdants que les vieux. Triomphe du centre? D’un centre nouveau? Le grand muezzin de la Weltwoche blochérienne Roger Köppel ricane haut et fort: «Balkanisé, atomisé, faible», voilà comment il le voit, lui, ce nouveau centre. PBD et Verts libéraux? Des «pochettes surprises», une aventure politique fantaisiste que se permet un électorat à peu près inconscient des enjeux et de la crise qui ravage l’Europe.

Et de regretter le temps où tout était plus simple et plus fort. Le temps où l’UDC, les socialistes, les radicaux et le PDC représentaient au Conseil fédéral 80% des forces politiques à eux seuls. Avec l’avantage d’une stabilité aujourd’hui prétendument perdue, piétinée par l’éclosion de ces centristes si cool et sympathiques, mais farfelus et largement masqués.

Dans cette optique, pas question de céder aux exigences du centre éclaté — garder Widmer-Schlumpf fut-ce au détriment d’un radical. Un cas de figure dicté pourtant par la stricte arithmétique: la gauche et l’UDC à 25% chacun, ainsi que le nouveau centre (PDC, PBD et Verts libéraux) à 23% auraient droit chacun à 2 sièges. Avec 15% le parti radical devrait se contenter d’un fauteuil.

Il est amusant de voir les méchants et les vieux, les UDC et les radicaux, autrefois attachés mordicus à la concordance, au pour-cent près, soudainement jeter la calculette à la mer, comme lorsqu’on casse le thermomètre pour ne pas voir que la fièvre monte.

Tel le Genevois Pierre Maudet, qualifiant les appétits mathématiques du centre de «billards à quatre bandes», de «tactique partisane», de «jeux politiciens», qui réduiraient la concordance au fait «de se mettre d’accord sur un plus petit dénominateur, à savoir siéger au gouvernement fédéral nonobstant (sic) tout élément de programme».

C’est pourtant bien exactement ce qu’a toujours été cette sainte concordance dont le «grand vieux parti», comme il se nomme lui-même, a profité des décennies durant.