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Tancer l’Europe pour cacher sa propre impéritie

La diplomatie suisse a désormais les yeux de Chimène pour la Russie de Poutine. Et ne cesse, Calmy-Rey en tête, de vitupérer contre l’UE. Un choix curieux qui montre le désarroi où conduisent les pratiques solitaires de l’Helvétistan.

C’est dire en quelle estime on nous tient. On a beau taper du pied, agiter ses petits poings, râler, renâcler, crier au scandale, à l’injustice, bref s’énerver grave, en face, rien, nib, que dalle, makach.

C’était pourtant une bien belle colère que s’est offerte dans les colonnes de la SonntagsZeitung une Micheline Calmy-Rey remontée comme un coucou. Et quand coucou fâché, toujours faire ainsi: dire que c’est à la faute à Bruxelles.

Coupable en effet, l’Union européenne, de nous «rendre la vie inutilement et de manière injustifiée, difficile». Bref, «une attitude inacceptable». Rendre la vie de la Suisse et des Suisses difficile, on mesure en effet l’ampleur du crime. Même s’il ne s’agit que de questions institutionnelles, de la façon dont les accords bilatéraux peuvent être alignés sur les acquis communautaires. L’UE les voudrait automatiques et rapides, ces alignements, Berne souhaiterait pouvoir au moins pinailler un peu et prendre son temps.

Des broutilles comme on voit. Mais quand même. Ne savent-ils pas à Bruxelles, que la vie facile, c’est notre marque de fabrique, notre âme à nous, notre façon d’être, quand le reste du monde, lui, semble s’acharner à ne vouloir vivre absolument que dans la difficulté et la complication?

Mais le plus grave, on l’a dit, c’est l’absence de réaction aux bouffées de colère de notre ministre. A Bruxelles, on semble s’en tamponner dans les grandes largeurs. «Aucun tremblement de terre», assure à l’ATS l’ambassadeur de l’Union en Suisse, l’autrichien Michael Reiterer. Lequel laisse même fielleusement entendre que les états d’âme de Calmy-Rey seraient à usage strictement interne, destinés à la campagne électorale qui s’ouvre en Suisse. Une façon en somme de couper l’herbe sous le grand pied europhobe de l’UDC. C’est un vieux truc en tout cas, utilisé avec une belle constance par les politiciens français de tout bord: tancer l’Europe pour cacher sa propre impéritie.

Heureusement, toutes les organisations internationales n’affichent pas le même dédain à l’égard de la vaillante petite Suisse. L’Unesco par exemple, qui vient d’inscrire les sites palaffites à son patrimoine mondial, 22 rives sur les lacs de Bienne, Morat et Neuchâtel. Voilà au moins une Suisse qui sait se faire respecter. Celle des pilotis et des lacustres. Tout un art de vivre aussi, le pilotis, trop subtile sans doute pour les eurocrates de Bruxelles: cachés, bien cachés dans la vase, les pilotis, mais témoignant d’un passé immémorial et glorieux. C’est tout nous, ça.

Heureusement, encore, il nous reste quelque amis, mais attention des vrais, des forts, des gros, des costauds, eux aussi europhobes, cela tombe bien, et du genre à taper du poing sur la table du Conseil de sécurité de l’ONU. Des amis qui certes, dans un passé récent, ont eu aussi leurs petites humeurs à notre égard. Mais tout ça est oublié et cette relation s’annonce sous les meilleurs auspices. Des amis avec lesquels, nous assure «Le Temps», «les relations sont désormais presque plus intenses qu’avec l’UE».

C’est ainsi que Micheline Calmy-Rey va pouvoir enfin rencontrer des gens aimables et compréhensifs, elle qui visite cette semaine la fort démocratique et chaleureuse Russie de Poutine. Même si c’est l’icône de pacotille, la provisoire doublure Medvedev qui la reçoit. Les Russes en tout cas savent choisir leurs amis. Iran, Syrie, Lybie, Hezbollah, Hamas. Bienvenue, donc, au club.

Mais bon, comme le martèle l’hilarant Freysinger, dans une chronique contre les méfaits du multiculturalisme, elle-même très multiculturelle puisque publiée dans six quotidiens prétendument différents, «d’où qu’ils viennent les clowns se ressemblent». On ne le lui fait pas dire.