Disney a choisi l’EPFZ pour son laboratoire de recherche. Plus de 40 scientifiques y développent les technologies pour les jeux vidéo et les films d’animation de demain. Visite.
C’est a priori un couple improbable, Walt Disney et l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich. D’un côté, le plus grand groupe de médias et de divertissement au monde, qui spontanément évoque Mickey Mouse, Blanche-Neige et des parcs d’attractions monumentaux. De l’autre, la vénérable haute école helvétique. Mais en automne 2008, c’est bien l’EPFZ qui devient la première université au monde à accueillir un laboratoire Disney.
Pourquoi Zurich?
C’est après le rachat en 2006 du studio d’animation Pixar, très actif dans la recherche sur les images de synthèse, que Disney décide de créer deux laboratoires externes. «Disney a compris qu’un environnement universitaire était nécessaire pour recruter les meilleurs scientifiques, indique Robert Sumner, directeur associé du Disney Research Center de Zurich (DRZ). Le prestige de l’EPFZ a joué un rôle clé dans le choix de Disney.» Ainsi, qu’une connexion personnelle: l’équipe du directeur actuel du DRZ, le professeur d’informatique Markus Gross, collaborait déjà avec Joe Marks, un scientifique de Mitsubishi Research qui fut plus tard engagé pour fonder les laboratoires Disney. Peu après, un deuxième laboratoire a été mis sur pied à la Carnegie Mellon University de Pittsburgh, aux Etats-Unis.
L’EPFZ fournit deux villas au centre-ville et met à disposition ses centres de calculs. Disney finance la recherche et s’implique dans l’enseignement. «Les brevets d’invention sont partagés entre le DRZ et l’EPFZ dès qu’elle finance en partie l’un des chercheurs, comme par exemple les doctorants, explique Robert Sumner. Disney veut également encourager la création de start-up et céder, si nécessaire, ses droits à des conditions favorables.»
Diversifié dans le cinéma (Pixar, Disney Pictures, Disney Animation Studios), les médias (ABC Family, ESPN), le tourisme (Disney Resorts) et de nombreux produits dérivés, le géant américain se doit d’investir dans l’innovation technologique. A Zurich, les chercheurs planchent sur des problèmes variés: de la vidéo 3D à domicile au développement de projecteurs miniatures, en passant par les communications sans fil et les effets spéciaux. Le laboratoire, qui compte déjà une quarantaine de chercheurs, ne cesse d’augmenter ses effectifs.
Spécialité jeux vidéo
La division jeux vidéo de Disney rassemble huit éditeurs, qui lancent principalement des jeux dérivés de dessins animés («Le livre de la jungle», «Ratatouille»), de films («Pirates des Caraïbes») ou encore de séries TV («Desperate Houswives», «Hannah Montana»). Pour Disney, le laboratoire de l’EPFZ travaille en particulier sur le graphisme 3D. Son partenaire principal est Black Rock, un studio anglais spécialisé dans les courses automobiles.
Concurrence oblige, la plupart des recherches en cours sont tenues secrètes. Robert Sumner présente volontiers les résultats déjà publiés. Une première technique développée à Zurich rend la cinématographie des jeux 3D davantage réaliste et prenante. «Dans de nombreux jeux, la trajectoire de la caméra suit une ligne droite. La vue passe à travers les obstacles du monde virtuel, ce qui détruit l’illusion cinématographique.» Les chercheurs ont donc mis au point un algorithme qui détermine une trajectoire intelligente en temps réel. Il assure que la caméra garde la cible le plus longtemps possible dans le champ de vision, tout en contournant les obstacles.
Donner le pouvoir aux créateurs d’images
Robert Sumner se décrit comme un scientifique dont les inventions donnent plus de pouvoir aux créateurs d’images de synthèse: «La cinématographie permet d’injecter de l’adrénaline dans les jeux. L’aspect visuel reste très limité par la technologie à la disposition des designers, explique-t-il. Nous développons pour eux des outils informatiques qui leur permettent de créer des effets spéciaux auparavant impossibles à réaliser.»
Un nouvel outil sert par exemple à rendre les mouvements plus vivants. L’utilisateur peut créer l’apparence d’une trace laissée temporairement par le passage d’un objet. Après avoir défini un type de trace, l’effet peut être automatiquement appliqué aux différentes parties de l’objet. «Les graphistes peuvent ainsi considérer ces effets dynamiques comme un aspect du design, au même titre que la couleur ou la texture d’une surface.»
Autre projet du laboratoire Disney: la modélisation réaliste du visage humain, «l’un des plus grands challenges de l’animation sur ordinateur», selon Rober Sumner. La tâche est d’autant plus complexe que notre système visuel, habitué à analyser les expressions faciales, détecte instantanément la moindre anomalie. Pour finement numériser le visage, les scientifiques ont construit un scanner doté de sept appareils photo haute définition. Chacun enregistre la physionomie du modèle sous un angle différent, avant qu’elle ne soit reconstruite en trois dimensions.
Mais pour Robert Sumner, le réalisme n’est pas le but final: «Notre ambition, ce sont les émotions. Nos outils devraient permettre aux designers de créer des personnages avec qui les joueurs se sentent liés.»
_______
Dessins animés à la main high-tech
Pionnier du domaine, Walter Elias Disney fut le premier à introduire le son et la couleur dans les dessins animés. Alors que tous les regards se tournent vers l’image de synthèse, «Disney continue à défendre le travail à la main», souligne Robert Sumner. Pour réaliser un long métrage, l’artiste crée une série de dessins «clés», entre lesquels des images intermédiaires sont nécessaires pour un rendu fluide. «La production nécessite plus de deux millions d’images, dont la moitié ne servent qu’à remplir les trous.»
Le laboratoire Disney a développé un outil informatique pour faciliter cette étape. Les lignes de crayon retrouvées sur deux dessins clés consécutifs sont automatiquement reliées à l’aide d’un algorithme d’interpolation. Le système connecte les extrémités des lignes en suivant un arc qui correspond à une partie de spirale logarithmique, cette courbe ayant l’avantage de bien préserver la forme des objets lors d’un changement de perspective. Mais la situation se complique quand une nouvelle ligne de crayon apparaît d’un dessin clé au suivant: il est alors nécessaire que l’artiste intervienne manuellement. Appliqué au dessin animé «La Princesse et la grenouille», ce système a permis de produire une scène 16 fois plus rapidement.
_______
Un jeu en un semestre
Combat multijoueur de sous-marins, course sur la muraille de Chine ou encore poursuite à travers un labyrinthe urbain: les étudiants du cours de programmation de jeux vidéo donné par Robert Sumner à l’EPFZ doivent créer un jeu complet pour Xbox en un semestre. «Les résultats atteints sont épatants», se réjouit le chercheur, qui lui-même a programmé son premier jeu à l’âge de 12 ans. Les travaux sont évalués par un groupe d’experts venu de Disney Interactive, la division jeux vidéo de l’entreprise.
_______
Une version de cet article est parue dans le magazine Reflex.