Le leader d’extrême droite a toujours détesté Thomas Bernhard. On comprend pourquoi. Les textes de l’écrivain autrichien, dix ans après sa mort, n’ont perdu ni leur actualité, ni leur mordant.
Jörg Haider, dans son premier discours prononcé en tant que leader du FPOe en 1986, avait vigoureusement attaqué l’écrivain Thomas Bernhard. En désignant Bernhard comme son ennemi numéro un, il faisait preuve d’une perspicacité certaine.
Bernhard, c’est le pourfendeur de l’inébranlable bonne conscience autrichienne. «Le silence de notre peuple sur ces milliers et dizaines de milliers de crimes est le plus grand de tous les crimes», clamait-il inlassablement.
Rappelons son célèbre discours de remerciement à l’occasion de la remise du Prix national autrichien de littérature en 1967. Un discours insupportable pour les ministres de l’éducation et de la culture, qui quittèrent les lieux. En voici un extrait: «Nous sommes Autrichiens, nous sommes apathiques; nous sommes la vie; nous sommes comme indifférence, vulgairement partagée, à la vie; nous sommes dans le processus de la nature, la folie des grandeurs, le sens de la folie des grandeurs comme avenir… Ce que nous pensons a déjà été pensé, ce que nous ressentons est chaotique, ce que nous sommes est obscur.»
Dès 1981, la Télévision autrichienne décide de ne plus diffuser les pièces de Bernhard, sous prétexte qu’il avait «offensé la nation toute entière» dans un texte publié par le magazine Profil. Il s’agissait d’une note de lecture sur un livre consacré au chancelier d’alors, Bruno Kreisky:
«Monsieur Kreisky, à qui le livre est consacré pour son 70e anniversaire, y est représenté en retraité, bien que, comme tout le monde sait, le chancelier occupe, chose étrange pour tous, chose effroyable pour beaucoup, toujours ses fonctions. Même en occupant ses fonctions il donne sur ces photos toujours l’impression émouvante d’être un retraité choyé et gâté. Cela dit, on pourrait – à condition de le vouloir – aussi être gagné par ce mépris froid dont je viens de parler. Monsieur Kreisky n’est, ce livre le démontre, autre qu’un de ces millions de retraités autrichiens, mais il se trouve que comble de malchance, il est le seul parmi eux à être de surcroît chancelier de la République.»
De l’Etat et du peuple autrichien, Bernhard écrit: «Une symétrie fantomatique de médiocrité et de médiocrité sans issue, voilà ce qu’est devenu notre constitution. Notre peuple est un peuple sans vision, sans inspiration, sans caractère. Intelligence, imagination: ce sont des mots qu’il ne comprend pas. Peuple de contrebandiers et de dilettantes, il se perpétue à chaque minute dans le crétinisme alpin dont il a l’exclusivité. Il s’exalte sur un territoire miniature qui lui est resté (mélange de musées en plein air pour globe-trotters vulgaires et d’hôpitaux psychiatriques) dans la plus terrible des crispations du mimétisme devenu pour lui une fin en soi.»
Toujours au sujet de l’Etat, dans son roman «Corrections», il évoque «cette perversité et cette prostitution permanente incarnées en un Etat».
«L’Autriche et ses Autrichiens, cet Etat, ce peuple, qui a atteint la faillite comme aucun autre et chez lequel, hormis la faiblesse de l’esprit qui lui est innée, rien n’est resté que la tartufferie et, en particulier, la tartufferie dans tous les domaines possibles de l’Etat et de la politique nationale; ce centre de l’Europe que l’Autriche avait été jadis n’était plus rien qu’un reste de liquidation dans l’histoire de la pensée et de la civilisation, un Etat figurant parmi les invendus, où le citoyen ne trouve plus que le deuxième choix ou le troisième ou le quatrième et en tous cas n’a plus jamais que le dernier choix.»
Dans «Le faiseur de théâtre», une pièce qui a pour décor la salle d’un restaurant toujours décorée d’un portrait de Hitler, Brucson, le héros proclame: «Ils sont socialistes, disent-ils. Et ils ne sont jamais que Nationaux-Socialistes. Ils sont catholiques, disent-ils, et ne sont que des idiots. L’Autriche/Austria/Osterreich. Il me semble que nous sommes en tournée dans la fosse d’aisances. Dans la poche purulente de l’Europe. C’est que tout pue ici.»
Quittez ce pays! C’est le conseil que Bernhard donne à ses concitoyens. «L’homme autrichien, dès les premiers instants de sa naissance est un raté et il faut qu’il voie clairement qu’il devra renoncer à lui-même s’il demeure dans ce pays et dans cet Etat, quel que soit le signe dont il est affecté il lui faut se décider: demeuré dans son pays, veut-il sombrer, sombrer en vieillisssant péniblement et en ne parvenant à rien dans son propre Etat et son propre pays, être le témoin lucide de ce terrible processus de mort lente qui affecte son esprit et son corps, accepter aussi en restant dans cet Etat et dans ce pays, une évolution descendante qui dure toute la vie ou bien veut-il prendre le large le plus tôt possible et par cette action de prendre le large le plus tôt possible, se sauver, sauver son esprit, sa personnalité, sa nature?»
Bernhard, décédé en 1989, a tenu à prolonger sa haine de l’Autriche au-delà sa mort. Dans son testament, il a interdit, en Autriche, toute utilisation «représentée, imprimée ou lue» de son œuvre, jusqu’à ce qu’elle tombe dans le domaine public.
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Photos de Thomas Bernhard.