En repensant les pratiques autour des interventions, il est possible de limiter les complications et d’améliorer significativement le bien-être des individus opérés. Le CHUV a réussi à intégrer ces méthodes à la chirurgie cardiaque, une première mondiale.
Elaborés pour la première fois en 1997 par les équipes du professeur Henrik Kehlet, un chirurgien danois, les protocoles ERAS (Enhanced Recovery After Surgery, comprenez « récupération postopératoire optimisée ») visent à revoir certaines pratiques de soins chirurgicaux et périopératoires afin de permettre aux personnes opérées de retrouver leurs fonctions motrices au plus vite. Il s’agit par exemple d’inciter les patient-es à manger plus tôt, les aider à développer une meilleure gestion de la douleur, mais aussi à opter pour une préparation avant l’opération. Ces techniques mobilisent différentes disciplines comme la chirurgie, l’anesthésiologie, la physiothérapie ou encore les soins infirmiers.
Une première mondiale
«Les recherches conduites dès 2008 au CHUV sur des patient-es en phase postopératoire ont permis d’établir que le manque de mouvements augmentait le risque de complications, notamment de thrombose et de fonte musculaire. D’où l’objectif de favoriser la mobilisation précoce », résume Valérie Addor, infirmière clinicienne responsable ERAS au CHUV. Dans l’hôpital vaudois, le Service de chirurgie viscérale a été le premier en Suisse à déployer ce type de protocoles il y a une quinzaine d’années.
Chirurgien spécialisé en intervention hépatique et pancréatique, et coresponsable du programme ERAS pour la chirurgie viscérale, le Dr Emmanuel Melloul se réjouit de l’efficacité de la méthode. «Les cas de complications médicales péri-opératoires, comme les insuffisances du foie, les hémorragies ou les embolies pulmonaires, ont nettement diminué, de 24% pour le pancréas et de 40% pour le foie.»
Aujourd’hui, huit services de chirurgie et d’anesthésie appliquent ces protocoles au sein du CHUV. Le Service de chirurgie cardiaque les a adoptés en mai 2023. Cinq mois plus tard, le Service a obtenu l’accréditation de l’ERAS Society, l’organe compétent en la matière au niveau international. C’est une première mondiale, car jamais l’accréditation n’avait été délivrée à un service de chirurgie cardiaque. Les personnes qui ont subi une opération du cœur admises en soins intensifs sont souvent équipées de dispositifs médicaux comme des drains ou des cathéters, qui rendent la mobilisation précoce bien plus délicate.
En plus de la coopération interdisciplinaire, la méthode repose également sur la participation active de la personne. «Pendant les trois semaines précédant l’intervention, j’ai dû maintenir une activité physique régulière, et m’entraîner à me redresser et sortir du lit sans risques. Cette préparation allait me permettre de me lever plus facilement après l’opération», relate Marie-Christine Jung, sexagénaire lausannoise ayant subi une opération du cœur en mars dernier. «La première étape consiste à renforcer, en amont, la forme physique des patient-es afin de maximiser leur résilience à l’opération», indique Valentine Melly, infirmière coordinatrice ERAS en chirurgie cardiaque. Il s’agit notamment de marcher au moins trente minutes chaque jour.
Moins d’opioïdes, moins d’effets secondaires
Élément central pour toute chirurgie, l’anesthésie a aussi revu ses méthodes pour accélérer le rétablissement. Afin de minimiser le risque de sédation excessive et d’effets secondaires dus aux opioïdes, qui peuvent nuire à la circulation sanguine et aux fonctions cérébrales, les anesthésistes utilisent désormais une approche qui permet de faciliter le réveil et la récupération postopératoires du patient ou de la patiente. Il est, en effet, possible de recourir à des alternatives moins puissantes, comme la kétamine, et à des techniques d’administration localisée. «Plus une anesthésie est profonde, plus elle affectera la capacité de l’organisme à retrouver toutes ses fonctions après l’opération», explique Valentina Rancati, médecin anesthésiste en chirurgie cardiaque.
En amont de l’intervention, les anesthésistes procèdent également au dépistage et au traitement de l’anémie, considérée comme une source majeure de complications. «Sans traitement préalable à la chirurgie, le remède à l’anémie consiste souvent à procéder à une transfusion sanguine, mais cette pratique augmente le risque de complications postopératoires, comme les infections et l’insuffisance rénale», indique la spécialiste.
Autre enjeu crucial: la gestion de la douleur post-intervention. Après une opération du cœur, un drain thoracique est posé pour prévenir les infections. «Suivant les protocoles, le drain est retiré plus tôt, généralement après trois jours, précise Zied Ltaief, médecin aux soins intensifs. Ce retrait n’implique aucun risque de complications majeur, et permet de réduire la durée des traitements anti-douleur par opioïdes.» Les effets secondaires indésirables, comme les nausées et les troubles du transit, sont ainsi diminués de près de 30%.
Se relever quelques heures après l’opération
Marie-Christine Jung s’est mobilisée dès les premières heures suivant son réveil. «J’ai trouvé la force de me lever pour prendre un repas à table.» Comme elle, près de 35% des personnes admises en chirurgie cardiaque se remettent à bouger le jour même de l’intervention, alors que ce taux ne s’élevait qu’à 8% avant l’introduction des protocoles ERAS. La Vaudoise reconnaît avoir été «agréablement surprise» par son état général après l’opération. «J’appréhendais beaucoup la douleur, mais je ne l’ai jamais ressentie de façon significative. Les jours suivants, j’ai pu marcher pendant plusieurs minutes avec l’aide des physiothérapeutes.»
Selon Valentine Melly, inciter les patient-es à retrouver une certaine autonomie motrice participe aussi à alléger la charge psychologique. «Le simple fait de se déplacer régulièrement fait prendre conscience que le rétablissement se déroule bien, et que la convalescence n’est pas forcément synonyme de souffrance et de vulnérabilité.»
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Des économies pour l’hôpital, et un traitement moins lourd
Réduire la durée du séjour à l’hôpital permet aussi de diminuer les coûts liés aux interventions chirurgicales, souvent lourdes et onéreuses. Selon une première étude de 2013 menée sur les patient-es en chirurgie colorectale, les frais globaux d’une opération étaient réduits de plus de 6% pour les participant-es au protocole ERAS.
En 2020, une étude de cas conduite sur six services de chirurgie a permis de prendre la mesure de l’efficacité des protocoles de rétablissement précoce dans différents services : en chirurgie colorectale, la durée de convalescence diminue de quatre jours en chirurgie pancréatique. Les économies ont été estimées entre 4000 et 7500 francs par personne opérée.
Une équipe de recherche canadienne a également analysé le potentiel des protocoles ERAS en matière de réduction des coûts. Selon les résultats, obtenus dans un service de chirurgie colorectale, pour chaque dollar investi dans les protocoles, le retour sur investissement s’élevait à 3,60 dollars.
En chirurgie cardiaque, où les protocoles ont été introduits il y a peu, les premiers résultats font état d’une durée de séjour à l’hôpital écourtée d’un jour en moyenne. « L’objectif est surtout d’améliorer au maximum le confort des patiente-es pendant leur convalescence », indique Zied Ltaief. « Le retrait précoce des équipements lourds et la mobilisation anticipée participent à rendre le séjour moins pénible. »
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Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans In Vivo magazine (no 29).
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