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Sans Rime ni raison

Jean-François Rime, patron de scierie, est un courant de l’UDC romande à lui tout seul. Il postule au Conseil fédéral. Portrait à la hache.

«C’est de l’arithmétique simple», assure le gruyérien Jean-François Rime, à nouveau candidat putatif au Conseil fédéral, lui qui avait déjà fait un demi tour de piste en 2009, au cas où. Et même du calcul élémentaire — les 30% de voix récoltées par l’UDC lui donneraient un droit automatique à deux sièges au gouvernement.

Comme il n’y a pas que l’arithmétique qui soit simple, Rime, dans la foulée, glisse cet argument pour justifier qu’un Romand se permette de postuler à la succession d’un strapontin alémanique: «Tous les grands partis qui ont eu deux conseillers fédéraux ont toujours eu un latin et un alémanique.»

Simple. Trop simple même pour être vrai. Jean-François Rime semble oublier cette période pourtant inoubliable qui vit siéger de concert, mais certes en vrais bouledogues de faïence se mordant les mollets sous la table, l’UDC zurichois Blocher et l’UDC bernois Schmid. Qu’en conclure, sinon que dans la logique ou en tout cas l’inconscient de Jean-François Rime, l’UDC n’est pas un grand parti?

Sans compter, si l’on peut dire, que la simple arithmétique nous souffle encore autre chose: que les 70% d’Alémaniques ont le droit légitime d’être représentés au gouvernement par cinq conseillers fédéraux sur sept. En simple arithmétique, ils auraient même droit à cinq et demi.

Pas de quoi pourtant freiner l’enthousiasme grognon d’un tel homme. «De droite jusqu’au bout des ongles, taillé dans le chêne, 0% glamour, 100% terrien». Voilà le genre de choses que les journalistes, cette engeance goguenarde, écrivent à propos de JFR, dont on raille aussi les initiales qui «font président».

La «grande décision» de sa vie en tout cas, Rime l’a prise, aime-t-il à raconter, en 2002. Ce fut, simplement, de passer du parti radical, dont il goûtait peu les tentations centristes, à cette UDC montante sans laquelle, certifie-t-il, il n’aurait non seulement jamais été conseiller national mais ni même candidat à pareil poste.

A la tête d’une des plus importantes scieries du pays, Jean-François Rime est naturellement à l’aise avec la langue de bois. D’autant qu’il a le caractère spontanément plus policé et consensuel que d’autres poids lourds de l’UDC romande. Moins poète que Freysinger donc, et moins flic que Perrin.

Pour aggraver son cas, il semble aussi moins tenir à certains points pourtant fondamentaux du catéchisme blochérien, comme l’étranger à dresser chaque fois en épouvantail ou le minaret métamorphosé en missile anti-croisés. Lui serait plutôt un fondu de la rigueur budgétaire, un obsédé de la traque aux abus.

Son meilleur atout pour entrer au Conseil fédéral, Jean-François Rime le voit dans ses «34 ans de vie professionnelle réussie». Un drôle de gage puisque c’était aussi ce que mettait en avant pour lui-même un Christoph Blocher dont il est à peu près admis aujourd’hui qu’il fut l’un des pires ministres de notre histoire.

Parfois, quand on ne sait trop quelle mouche le pique, Jean-François Rime peut prendre des accents quasi guévariens. On l’a vu ainsi fustiger, presque le couteau entre les dents, certaines pratiques de la grande banque: «En tant que patron de PME dans le canton de Fribourg, si j’avais fait toutes les erreurs des anciens dirigeants d’UBS, mon entreprise serait aujourd’hui en faillite. Eux, ils se sont enrichis. Marcel Ospel avait, à l’époque, justifié son très haut salaire par les résultats de la banque. Alors, qu’il rembourse aujourd’hui.» Beau comme du Ziegler ou du Zysiadis dans le texte…

Il faut dire que Rime, quand on le cherche, on le trouve. Quand Couchepin, à propos du renouvellement du Conseil fédéral persiffle que l’UDC n’a pas de candidat valable à présenter, Rime monte au filet et canarde au gros sel: «Ce qui est sûr c’est que des candidats mauvais comme lui, on n’en a pas non plus». Et toc, prends ça, Pascal.

Mais emporté par son élan, le Bullois manque parfois de trébucher sur de l’arithmétique simple: «On peut avoir cinq femmes. On peut bien avoir trois Romands.» Bientôt Jean-François Rime n’aura plus assez de doigts pour dénombrer le Conseil fédéral. Surtout avec des mains de scieur.