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La marmotte et le vététiste

Elles prolifèrent en Amérique, sont abattues en grand nombre dans nos Alpes, se mangent en catimini et causent des accidents de VTT. Histoires de marmottes d’ici et d’ailleurs.

Impossible de l’ignorer, l’ours polaire est menacé par le réchauffement climatique. Si la plupart des espèces animales pâtissent d’une modification du climat, une exception vient pourtant d’être détectée: avec l’élévation des températures, les conditions de vie s’améliorent pour les marmottes.

L’embellie a lieu dans les Rocheuses du Colorado. Des chercheurs anglais et américains ont suivi pendant plus de trois décennies les marmottes à ventre jaune ou marmota flaviventris. C’est la première étude du genre qui tente de comprendre les relations complexes entre une espèce animale et l’évolution de son environnement. Ses résultats sont publiés dans la revue Nature.

Les scientifiques ont pu arriver à cette conclusion: les marmottes s’empâtent. La masse moyenne des rongeurs a augmenté de 10% au cours des dix dernières années. Un autre phénomène s’est ajouté à cette sensible prise de poids. La population de marmotte augmente aussi. Elle a même triplé. Le réchauffement climatique serait responsable de cette évolution.

Voilà pour les cousins américains de nos rongeurs alpins! Et chez nous? Il faut s’approcher des chasseurs pour obtenir quelques informations à leur sujet. Dans les Grisons, elles sont fréquemment dans leur viseur. L’an passé 6333 marmottes ont officiellement été tirées. Un record! Les très nombreux sifflements (au Québec les marmottes sont appelées «siffleux») enregistrés cet été lors des balades en altitude laissent augurer d’une espèce en expansion démographique dans les Alpes également.

Que deviennent ces charmantes petites bêtes une fois abattues? Elles n’atterrissent pas, sous forme de manteaux, sur les épaules des élégantes à St Moritz. Pas assez chic! En revanche, on prête à leur graisse des vertus miraculeuses contre les rhumatismes et elle fait merveille pour cirer meubles et chaussures. Mais c’est leur viande qui est appréciée. Bien apprêtée, elle est délicieuse.

Pour m’en convaincre, j’ai tenté d’y goûter. En Engadine, l’adresse d’un restaurant à Maloja est souvent citée. Bizarrement, je ne trouve pas trace de marmotte (Murmeltier) sur sa carte. Je m’en étonne auprès du garçon qui m’explique: «On veut éviter de choquer les enfants.» Il est vrai que plusieurs stations utilisent une marmotte comme mascotte de leurs activités destinées à leurs jeunes hôtes, sans compter les milliers de marmottes en peluche vendues chaque années!

Dans mon assiette, je découvre une viande que j’aurais pu confondre, visuellement et gustativement, avec du gibier. Il faut s’armer de patience pour préparer ce «margout» ou ragoût de marmotte: faire tremper l’animal dépecé dans du lait pendant vingt-quatre heures, rincer, laisser reposer vingt-quatre heures, nettoyer à l’eau claire et faire cuire pendant treize heures à petit feu avec des légumes.

En Suisse romande, mis à part dans les cuisines des chasseurs ou des braconniers, vous trouverez difficilement un établissement public qui sert de la marmotte. Après plusieurs tentatives infructueuses pour dénicher une adresse, je tente un ultime coup de fil à «La Marmotte», le charmant restaurant des hauts de Verbier. Même ici, ma demande («Cuisinez-vous de la marmotte?») choque. «Vous savez, notre établissement s’appelle La Marmotte, mais c’était le nom d’une vache», me répond la patronne.

Laissons là les marmottes qui finissent dans les estomacs pour revenir à celles qui se dorent au soleil et signalent à leurs congénères, par des sifflements stridents, l’arrivée d’un prédateur ou d’un humain. Des humains qu’elles ont toujours vu s’approcher d’elles sur deux jambes. Depuis quelques années, elles les découvrent munis de deux bâtons. Des bâtons que certains, pervers, aiment à enfouir dans leurs terriers, histoire d’aller voir s’ils sont occupés.

Parfois, c’est même juchés sur deux roues qu’ils se déplacent. Une mythique épreuve cycliste porte d’ailleurs le nom du malicieux rongeur: «La Marmotte».Un bel hommage qui n’empêche pas qu’à deux mille mètres, hors des routes goudronnées, la cohabitation entre humains et petits mammifères soit quelque fois problématique.

En juillet, Dario s’est brisé la clavicule dans une chute causée par la sortie inopinée d’une marmotte de son habitat sis sur le sentier qu’il empruntait avec son VTT. Depuis, ses deux copains qui passent régulièrement par là ont décidé de progressivement sécuriser le parcours. Ils ont déjà posé de grosses pierres sur quelques orifices d’où pourraient s’échapper les rondouillardes bêtes.

La Fontaine aurait transformé ces histoires de marmottes en une délicieuse fable à la morale subtile. Nous ne sommes plus au siècle du célèbre fabuliste. Qui se soucie encore de morale? C’est à un comité d’éthique qu’il appartiendra peut être un jour de s’exprimer. Vélo ou marmotte, qui a la priorité sur les sentiers de montagne? Le règlement du Grand Raid, qui s’est déroulé le week-end dernier, n’en touche mot.