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Deux candidates à la succession Merz

La ministre saint-galloise Karin Keller-Sutter et la députée uranaise Gabi Huber sont données favorites dans la succession quasi ouverte de l’impayable Hans-Rudolf Merz. Avec ces dames, autant le dire: fini de rire. Portrait superposé.

Autant s’y préparer tout de suite. Les bruits de couloirs commencent à méchamment suinter dans les médias les plus sérieux: Merz n’en a plus pour longtemps et la machine à lui trouver un successeur pétarade déjà à tout va. Ce sera Karin ou Gabi. Et autant le savoir tout de suite: on ne va pas rigoler beaucoup. Tremblez, Libyens et autres amateurs de witz et de bonnes histoires à croix blanche!

Prenez d’abord Karin Keller-Sutter, conseillère d’Etat saint-galloise, 46 ans, en charge du département de la sécurité et de la justice. Un journal comme «Le Temps» la croque en «dame de fer radicale dans un costume de velours». Bien qu’elle ne soit pas parlementaire fédérale, à Berne, tout le monde la connaît déjà, notamment à travers son rôle influent de vice-présidente de la Conférence des responsables cantonaux de justice et police.

Quoi que saint-galloise, Karin fait en effet peu dans la dentelle. Son slogan préféré, plutôt couillu, est du genre qui se retient sans se ruiner en post-it: «Plus de sécurité, moins de violence.» Chez elle pourtant, les imprécations sécuritaires sont en général suivies d’actes, ce qui la distingue de la vulgate UDC. Dans son canton, elle s’est par exemple sérieusement attaquée aux mauvais garçons du football, grâce à l’instauration de procédures accélérées. Elle a renforcé la présence policière et créée «un service spécialisé dans la lutte contre la violence des jeunes».

Ce qui risquerait de changer en tout cas par rapport à Merz et quelques autres récents conseillers fédéraux de triste mémoire, c’est sa parfaite maîtrise écrite et parlée du français. Bon, en même temps c’est un peu son boulot: n’est-elle pas, Karin, titulaire d’un diplôme d’interprète? Il faut dire que ses années de formation l’ont menée de Will à Neuchâtel en passant par Londres, Montréal et Fribourg.

Karin Keller-Sutter s’est aussi fait un nom grâce à sa manière plutôt musclée («efficace», diront ses supporters) de comprendre la délicate mission de renvoi des étrangers indésirables. Quand on lui dit que le contreprojet à l’initiative UDC sur le renvoi, justement, des étrangers criminels ne se distingue que très peu du texte original, elle rétorque que «l’UDC a le mérite de savoir prendre la température auprès de la population».

Et que «même les étrangers criminels bien intégrés doivent être renvoyés». Que d’ailleurs la pratique de délivrer le permis C automatiquement après dix ans de séjour s’avère bien trop laxiste: «Nous sommes souvent confrontés à des personnes qui ne parlent pas allemand et qui vivent selon un schéma patriarcal inadapté à notre culture. C’est inadmissible. Nous devons être plus sévères.» Punkt schluss.

Ce n’est pas parce qu’elle est mariée à un médecin légiste de l’hôpital de Zurich que Karin Keller-Sutter risque d’enterrer ses ambitions. Non, le principal obstacle qui semble se dresser sur sa route c’est bien cette Gabi — Gabi Huber qui pour l’heure fait semblant de n’être pas candidate. «Le Temps», toujours, la voit en «première de classe sans charisme». Résumons: 54 ans, Uranaise, avocate, élue au Conseil national depuis 2003 et cheffe du groupe libéral-radical depuis 2007. Connue pour traquer impitoyablement les retardataires englués dans les pas perdus au moment des votes.

Son truc à elle, ce serait femme d’influence mais sans que personne ne s’en aperçoive, la presse surtout. Sérieux sans faille, rationalité brute, impeccable maîtrise des dossiers: chacun s’accorde à lui trouver l’étoffe d’une conseillère fédérale. Oui, mais voilà toutes ces belles qualités, un brin rébarbatives, ajoutées à celles quasi identiques de Didier Burkhalter, cela risque de faire beaucoup de grisaille.

Et même un peu trop selon «Le Temps»: «Avec sa voix métallique» qui ne «trahit aucune émotion», avec son «visage impassible», Gabi Huber «incarne jusqu’à la caricature» un genre d’austérité «presque rédhibitoire lorsqu’il s’agit de faire équipe avec un collègue aussi peu extraverti que Didier Burkhalter, dans un contexte politique où le côté émotionnel joue un grand rôle».

L’Hebdo n’est pas d’accord et rappelle que Gabi a su commettre quelques folies. C’était certes dans sa jeunesse lointaine, au bel âge de 20 ans, lorsqu’elle participait à un mouvement de protestation contre un projet de dépôts de déchets radioactifs dans la sainte terre uranaise. Ou, plus tôt encore, au gymnase, quand elle signait un pamphlet contre «un rectorat jugé trop autoritaire».

L’autoritarisme aujourd’hui lui est retourné en pleine figure. L’UDC Yves Nidegger juge qu’en commission, Gabi Huber mène les débats avec «l’efficacité d’un brise-glace». Et c’est, rapporte L’Hebdo, «à la manière d’un dirigeant soviétique» qu’elle a réglé en 2008 l’audition d’un Christoph Blocher tenté de revenir au Conseil fédéral après la démission de Schmid.

Cinq minutes montre en main lui ont suffi pour signifier à l’orgueilleux qu’il rêvait tout haut s’il comptait sur un soutien du groupe radical. Elle nie en tout cas, lorsqu’on la chatouille sur le sujet, être aussi coincée qu’elle en a l’air, et assure pratiquer l’humour, mais en privé.

Bref, Keller-Sutter contre Huber, c’est un peu le pot de fer contre le pot de fer. Il y a bien une infime différence, propre à faire fantasmer les puristes d’Helvetia Latina: dans la pratique du français, Gabi Huber, plutôt que du brise-glace, se rapprocherait davantage de la brouette embourbée.