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A propos du Conseiller fédéral Burkhalter

Il a reçu un coup de poing en pleine poire, mais il y voit un geste apaisant. L’homme s’annonce déjà comme un maître dans l’art du non-dit, et surtout du déni. Analyse psychologique.

À combien estime-t-il la baffe? Malgré 72 % des Suisses qui n’ont pas voulu de la baisse du taux de conversion et du grignotage subséquent de leurs rentes, Monsieur Didier le dit haut et fort dans 24 Heures et La Tribune de Genève: il «ne pense pas que l’on puisse parler de gifle».

Monsieur Didier a sans doute la peau très dure. Car les médisants et les persiflants habituellement à l’œuvre dans les médias, tous les médias, de Frauenfeld à Mendrisio en passant par Bulle et Pontresina, ont tous vu dans ce «non!» sonore, qui «un coup de trique, qui une «raclée», qui un «uppercut», voire un «camouflet».

Monsieur Didier, qui est homme de culture et d’histoire, n’a sans doute pas eu besoin d’aller fouiller dans les dictionnaires pour s’assurer du sens exact de ce joli mot: «camouflet». Qui fut d’abord un «chaud mouflet», autrement dit une farce de carnaval consistant à souffler dans un cornet enflammé, histoire d’envoyer un gros tas de fumée pour faire plaisamment suffoquer son interlocuteur. Tonton Didier, pourquoi tu tousses?

À sa décharge, disons que ce prénom-là, par les temps qui courent, porterait plutôt la poisse, surtout si l’on est Neuchâtelois. Et qu’ensuite, c’était son baptême du feu, après la tranquillité des 100 premiers jours au gouvernement et la traditionnelle première conférence de presse, qui l’avait vu confirmer une réputation peu flatteuse et taillée d’avance: celle d’un redoutable tricoteur d’inoffensives banalités.

Un baptême du feu qui s’est donc vite transformé en baptême du peu. Que Monsieur Didier s’est empressé d’escamoter grâce à deux jolis outils ayant déjà beaucoup servi, alors pourquoi pas lui: le non-dit et surtout le déni. Cette déroute? Evidemment, «ce n’est pas un échec personnel». Il évoque même pour son département de l’intérieur un «match nul», au prétexte d’un oui à un article institutionnel sur la recherche plutôt anecdotique, comme si les deux scrutins véhiculaient les mêmes enjeux.

Il faut dire que monsieur Didier avait eu de quoi apprendre en observant son prédécesseur, Monsieur Pascal, passé maître dans l’art d’asséner, les soirs de raclées, des «même pas mal» goguenards, à la limite du mépris et sous-entendant, «mais qu’il est con, ce peuple».

Monsieur Didier semble pourtant mieux élevé, moins porté à ce genre de vilaines pensées. Il se fait au contraire tout miel, débite de l’indulgence au kilo pour ceux qui lui ont infligé son premier, et quoiqu’il en dise, retentissant revers fédéral. Ces 72 % de Neinsager, figurez-vous, ne sont pas des abrutis égoïstement cramponnés à leurs chers acquis, sur l’air sinistre d’«Après moi le déluge», mais au contraire «des gens à l’écoute, prêts à faire évoluer leurs opinions». Il leur trouve même des excuses, Monsieur Didier, à tous ces salauds qui ont osé, avec leur vote irresponsable, mettre en péril le deuxième pilier: «le climat politico-économique est défavorable à des projets difficiles».

Mieux: cette mornifle mémorable, non seulement ce n’est pas sa faute, mais ni non plus celle de ses petits copains de jeux. Il refuse d’y voir «un acte punitif contre le Conseil fédéral à cause de sa gestion d’autres dossiers». C’est sûr, le Conseil fédéral volant au secours des rois du bonus et du bonneteau de l’UBS et demandant ensuite au bon peuple de racler ses propres fonds de poches et de tiroirs, voilà qui a du susciter enthousiasme et reconnaissance dans les chaumières.

Tellement que Monsieur Didier voit au contraire dans ce coup de poing en pleine poire un geste apaisant et même «un encouragement adressé au Conseil fédéral pour régler ensemble et en équipe l’avenir des assurances sociales».

Reste à savoir ce que Monsieur Didier va faire avec la vérité. La garder dans un coin de sa tête, au chaud pour des jours meilleurs, ou simplement l’oublier? Oui, que faire avec cette simple, cette encombrante évidence que résume la feuille d’extrême gauche honorablement connue, Le Temps: «Le rejet de la baisse du taux de conversion à 72,7% est sans doute l’un des revers les plus cinglants infligés au Conseil fédéral, à la majorité du parlement et aux organisations économiques dont la proximité n’est plus à démontrer.»