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L’Italie vire au violet

Les élections régionales et leurs irrégularités tiennent la péninsule en haleine depuis une dizaine de jours. Inédit: les manifestants brandissent des drapeaux violets. Décodage.

L’Italie est une nouvelle fois en crise. Une de ces crises qui, telle une tornade, s’abat inopinément sur le monde politique, balaie tout sur son passage, renverse les certitudes les mieux ancrées.

La semaine dernière, à en croire la presse transalpine, Silvio Berlusconi a dû pendant deux jours renvoyer tous ses rendez-vous pour tenter de sortir son parti du bourbier où il s’était lui-même enlisé.

Les faits? Comme la France, l’Italie est en campagne pour des élections régionales fixées au dernier week-end de mars. Au contraire de la France, l’Italie, championne des subtilités législatives et bureaucratiques, a des systèmes électoraux d’une complexité extraordinaire. En général, les règles sont appliquées sans trop se soucier des détails, la force des deux grands partis étouffant sans peine les gémissements des petits, victimes prédestinées des machines électorales.

Comme d’habitude, les formations politiques ont concocté leurs listes, préparé slogans et discours, tout semblait baigner pour le mieux. Les grands ténors avaient déjà entonné leurs airs favoris, quand soudain, on apprit qu’à Rome et Milan les radicaux avaient découvert quelques étrangetés procédurales. Dans la capitale, les partisans de Berlusconi n’étaient pas arrivés à temps pour inscrire leurs candidats. À Milan, des signatures semblaient contrefaites. Puis, chacun creusant, on commença à découvrir moult vices de formes. J’abrège, car même un juriste de l’école d’Andreotti ne s’y retrouverait pas.

Bref, la loi étant ce qu’elle est, le parti de Berlusconi était mercredi dernier dans l’impossibilité de participer au scrutin dans deux des plus grandes régions d’Italie, la Lombardie et le Latium!

Que fait Berlusconi quand une loi se met en travers de sa volonté? Il en fait une autre pour annuler la précédente. On l’a vu encore récemment agir ainsi pour écarter des poursuites judiciaires. Jeudi donc, une nouvelle loi, ou plus précisément un projet de «décret interprétatif» chargé de corriger les mauvaises orientations de la vraie loi, hantait la une des journaux et les consciences civiques. Pour les berlusconiens, pas de problème, cette solution allait de soi.

Mais, même en Italie, un décret doit porter la signature du président de la République. Or ce dernier, Giorgio Napoletano, est un vieux monsieur (85 ans) issu de l’opposition. Allait-il, pour les beaux yeux de Berlusconi, se prêter à cette pantalonnade juridico-législative. Il alla. En se justifiant par le souci d’assurer l’équilibre du vote qu’une absence des berlusconiens eût faussé. Mais sans rappeler que d’innombrables fois, de petites listes, dérangeantes à souhait pour les grands, furent victimes d’une application rigide de la loi.

Au moment où j’écris, l’affaire n’est pas close. Les tribunaux administratifs et la cour constitutionnelle sont sollicités. Reste le fait que Berlusconi s’est pris une fois de plus une gifle magistrale qui montre que l’arrogance de son système n’est pas qu’une affaire personnelle (volonté d’échapper à la justice) mais hypothèque l’ensemble de la gestion de la République par la mise en cause de lois électorales que l’on pourrait «interpréter» à sa convenance.

L’ancien juge Di Pietro devenu un populiste prêt à faire feu de tout bois crie au «golpe», au coup d’Etat. La gauche classique, morcelée, fissurée, émiettée, regarde hébétée, monter la colère de la population sans savoir à quelle loi se vouer. La réaction la plus passionnée vient de jeunes réunis par l’internet qui, pendant le weekend, ont organisé des manifs de protestation en brandissant des drapeaux violets. Des dizaines de milliers de personnes les ont suivis. Quelle étrange couleur! Quoi de plus vaticanesque que le violet? Mais peut-être vient-il à la mode parce qu’on peut le créer avec 60% de bleu (l’azzuro berlusconien) et 40% de rouge (socialo-communiste).

Vendredi 5 mars, le quotidien turinois La Stampa, qui ne manque jamais de flair, publiait en première page un florilège de pensées dues à la plume d’un journaliste et écrivain Ennio Flaiano qui aurait eu cent ans ce jour-là. Dont: «Les Italiens sont irrémédiablement faits pour la dictature.» Ou: «La situation politique en Italie est grave, mais pas sérieuse.» Et encore: «En Italie, les fascistes se divisent en deux catégories: les fascistes et les antifascistes.»