America OnLine s’est offert le numéro 1 mondial des média. «Matrix», «Eyes Wide Shut», CNN et REM appartiennent désormais à la première compagnie du Net.
L’année 2000 est déjà riche en surprises. Avant même de commencer, elle nous avait réservé quelques sueurs froides tant dans le domaine écologique (les épousailles furieuses de Lothar et d’Erika) que dans celui de l’informatique, avec ce bug programmé puis désamorcé à grands coups de centaines de milliards de dollars.
Dans la même catégorie, mais un peu moins cher, le rachat de Time-Warner par America OnLine (AOL) constitue dix jours plus tard un nouvel événement historique, à mi-chemin (comme le bug) entre économie et informatique. C’est la plus grande fusion de l’histoire, en attendant la prochaine: évaluée à 180 milliards de dollars, l’opération doit encore être approuvée par les instances de régulations américaines et par les actionnaires des deux sociétés, mais l’annonce soulève déjà quelques questions de taille.
A ceux qui ne connaîtraient pas AOL, on dira simplement qu’il s’agit du premier fournisseur d’accès à internet – avec 20 millions d’abonnés payants – qui contrôle aussi le pionnier des navigateurs (Netscape). La compagnie américaine – qui tenait l’un des rôles principaux du film «You’ve Got Mail» en réunissant anonymement Tom Hanks et Meg Ryan – affiche une capitalisation boursière de 165 milliards de dollars, soit près du double de celle de Time Warner, qui pèse 83 milliards.
Avant le rachat, pourtant, l’empire Time Warner était déjà considéré comme le numéro un mondial des médias. C’est dire l’envergure de la nouvelle entité, qui dominera l’ensemble de la communication, de l’information et du divertissement du globe, internet compris.
Contrairement à Microsoft, dont l’emprise se limite au monde du logiciel, AOL Time Warner occupera une position largement dominante dans l’industrie qu’on appelle «du contenu»: films, musique, télévision, presse écrite, édition.
Par ce rachat, le géant du Net met la main sur les chaînes CNN, Cartoon Network, HBO et TNT, des magazines comme Time, People et Fortune (120 millions de lecteurs au total), les studios de cinéma Warner («Batman», «Eyes Wide Shut», «Matrix», etc.) et sur la compagnie discographique du même nom, qui contrôle notamment les carrières de REM, de Björk et d’Alanis Morissette, sans oublier l’impériale Madonna.
Mais aussi, par cette opération, AOL s’empare d’un autre trésor de guerre de Time Warner: des réseaux câblés qui alimentent en programmes télévisés 13 millions de foyers américains. Dirigée par le plus grand fournisseur d’accès, cette tuyauterie à haut débit changera radicalement le visage du Net aux Etats-Unis.
AOL dispose désormais d’une force de frappe qui lui permet de dicter sa loi. Seule une nouvelle fusion – ou une interdiction de l’alliance AOL Time Warner par les autorités américaines – pourrait rétablir un certain équilibre dans l’économie d’internet. Et si Yahoo rachetait Disney? Avec une capitalisation boursière de 107 milliards de dollars, le plus grand annuaire du monde pourrait très bien s’offrir les studios du «Roi Lion», qui ne pèsent, eux, que 64 milliards.
Les consommateurs d’information et de divertissement seront-ils mieux servis par ces immenses conglomérats? On n’en est pas si sûr. Le vrai bug de l’an 2000 pourrait bien s’appeler «concentration».