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Ces socialistes et ces écolos qui votent radical

L’élection de Didier Burkhalter grâce à des voix dissidentes rouges et vertes met en lumière, accessoirement, le péché mortel d’une gauche qui a oublié sa raison d’être. Commentaire.

«Certains en sont restés au Sonderbund.» Ce cri du coeur de la socialiste vaudoise Ada Marra, entre le troisième et le quatrième tour de l’élection au Conseil fédéral résume bien la toute petite mécanique qui a conduit Didier Burkhalter au gouvernement. Les quelques voix des socialistes et des Verts qui se sont portées sur le Neuchâtelois ont fait la différence. Contre les mots d’ordre des chefs de groupes et des dirigeants qui avaient clairement indiqué leur préférence pour le PDC Urs Schwaller, après les différents hearings des candidats.

Dans la foulée, la même Ada Marra a enfoncé le clou: c’est le «C» de PDC qui aurait pénalisé Urs Schwaller. Un C qui renvoie effectivement au Sonderbund, lorsque ceux qu’on appelait encore les catholiques-conservateurs représentait une Suisse obscurantiste, patricienne, passéiste, soumise à une Eglise catholique alors toute puissante, contre les idées libérales, issues de la Révolution française et incarnées par un parti radical qui allait fonder la Suisse moderne.

Mais tout cela n’a évidemment plus rien à voir avec la choucroute actuelle. Ada Marra encore l’a rappelé à bon escient: «Pour les gens qu’on défend, le programme du PDC était plus proche du nôtre que celui des radicaux.» Les gens que nous défendons, c’est-à-dire les classes populaires, et là, il n’y a évidemment pas photo entre les principes PDC et les valeurs radicales, dans le domaine social notamment.

Mais cette gauche dissidente n’a pas voulu voir l’essentiel — la proximité programmatique — pour se concentrer sur l’anecdotique. Au motif par exemple que les radicaux seraient plus ouverts sur les questions de société. Comme le divorce ou l’avortement, qui pourtant en Suisse ne posent plus guère de problème, grâce à des législations longuement mûries, fruits de nombreux compromis, et admises par l’écrasante majorité.

Quelles raisons restait-il donc pour ces trublions rouges et verts de voter Burkhalter? Il y en avait bien sûr, mais encore plus minuscules et moins glorieuses que celles générées par l’idéologie laïcarde. Le cantonalisme étroit par exemple, comme celui du socialiste neuchâtelois Didier Berberat, qui a clamé partout que Burkhalter avait été son candidat favori dès la première heure. Peu importe les convictions, le charisme, la personnalité dudit candidat, l’essentiel étant qu’il soit natif d’Auvernier.

Restait la question linguistique qui a débouché sur des sommets d’hypocrisie. Il fallait voter Burkhalter parce que lui, au moins, était un vrai francophone. L’argument est d’autant plus inadéquat que cela fait longtemps que les Conseillers fédéraux s’interdisent à raison, une fois élu, d’être les représentants de quiconque. Ni d’un canton, ni d’une région ni d’un groupe de pression. Y a-t-il plus valaisan que Pascal Couchepin? Pourtant, durant ses onze ans au Conseil fédéral qu’a t-il fait pour le Valais? N’ayons pas peur de le dire, et c’est tout à l’honneur du Martignerain: absolument rien.

Cette gauche donc qui vote radical pour des tas de mauvaises raisons a même osé invoquer, comme de vulgaires UDC, la sacro-sainte concordance. Sauf que si l’on voulait respecter cette concordance à la virgule mathématique près, cela donnerait au Conseil fédéral deux vrais UDC, deux socialistes, un radical, un PDC et un Vert.

Peu importe après tout. Il est bien possible que Didier Burkhalter se révèlera un excellent, un brillant Conseiller fédéral. Même si sa première intervention, quelques secondes après son élection, ressemblait d’avantage à un discours de 1er août qu’à un programme d’homme d’Etat.

N’empêche, ce qui s‘est passé le 16 septembre à Berne a révélé le grand péché des gauches dites modernes, qui explique largement leur recul dans toute l’Europe. Ces gauches baptisées aussi «caviar», ou même depuis peu «Prada», qui ont perdu, à force de combats prestigieux mais vides de sens, leur raison d’être: la défense de leurs électorats ouvriers et populaires, largement récupérés par l’extrême droite.

Dans l’esprit de ces parlementaires de gauche pour qui voter PDC était épidermiquement impossible, nul doute que des mots comme «famille» ou «PME» soient considérés comme des vieilleries ringardes. Aussi ringardes que «classes laborieuses» ou «salaire minimum». Une gauche dont on peut prédire sans trop de risque qu’elle aura pour avenir pas si lointain de ne plus représenter qu’elle même, c’est-à-dire de disparaître.