Les candidats au Conseil fédéral seraient plus ou moins incultes. C’est grave docteur?
La chair est peut-être triste, hélas, mais eux n’ont pas lu tous les livres. Après coup, après avoir fait piètre figure au jeu des devinettes radiophoniques, les candidats au Conseil fédéral ont cherché à rectifier le tir.
Didier Burkhalter jure qu’il possède l’intégrale de Dostoïevski. Christian Lüscher, tout en rappelant sa maturité latin-grec, n’en confesse pas moins que le dernier bouquin qu’il ait tenu entre ses mains n’était ni d’Homère ni de Cicéron, mais de Levy. (Même pas Bernard-Henri, non, Marc, petit prince de la bluette).
Urs Schwaller, lui, est capable de citer au moins trois auteurs romands — Bille, Chessex, Ramuz, ce qui ne mange pas de pain, juste un peu de pâte à papier. Notons qu’à l’ère supposée de l’image, les cancres n’ont pas fait mieux au rayon cinéma. Seule certitude: le 16 septembre prochain, ce n’est pas un fin lettré, ni un spécialiste de Rohmer, qui accédera au Conseil fédéral.
Et alors? Aurait-on envie de dire. D’accord, Churchill fut, accessoirement, prix Nobel de littérature, et les mémoires de de Gaulle ont les honneurs de la Pléiade. Mais bon, Hitler aussi avait des lettres et même un brin de plume: «Mein Kampf» se vend toujours.
N’empêche la lecture, entre autres, des «Sept piliers de la sagesse», de T.E Lawrence, le fameux Lawrence d’Arabie, aurait peut-être pu aider Hans-Rudolf Merz dans ses compliqués marchandages avec les bédouins de Tripoli. Il aurait pu notamment méditer ce beau passage sur l’énigmatique peuple arabe qui «voit le monde en contours découpés, noir sur blanc. Son esprit dogmatique méprise le doute, notre moderne couronne d’épines. Il n’entend rien à nos hésitations métaphysiques, à nos anxiétés introspectives. Il connaît simplement la vérité et la non-vérité, la croyance et la non-croyance, sans l’indécise continuité de nos nuances… sa pensée n’est à l’aise que dans les extrêmes.»
Ou un peu plus loin, toujours chez les Arabes, la capacité à faire cohabiter deux idées contradictoires: «La tête froide, le jugement tranquille, dans une imperturbable inconscience de leur oscillation, ils volent d’asymptote en asymptote.» Voilà qui aurait peut-être évité au peuple suisse de voler, lui, de désillusions en désillusions, d’humiliations en humiliations. Si l’on avait su par avance que la libération des otages n’était pas une promesse mais une asymptote, on aurait sans doute économisé pas mal de kérosène.
Pourtant, parmi les personnalités non partisanes, issues de la société civile et questionnées par le quotidien «Le Temps» sur le profil idéal du prochain conseiller fédéral, personne ne cite l’érudition. Ni non plus une passion absolue pour le nouveau cinéma hongkongais, ou le goût du vieux parchemin, dont se piquait par exemple un Couchepin.
Les qualités privilégiées seraient plutôt à chercher du côté du «courage», de «l’indépendance», de la «ténacité», de la «capacité de synthèse». Il serait aussi bienvenu que le superman soit plutôt une superwoman, si possible romande et même, tant qu’on y est, urbaine. Loin donc, très loin du rat de bibliothèque ou du fondu enchaîné à sa cinémathèque.
À voir pourtant, ces derniers jours, les tractations épicières auxquelles se livrent les chef de bandes, à voir le PS hésiter entre Burkhalter et Schwaller au motif que les camarades se sentent plus proches des radicaux sur les question de société (entre laïcards on peut s’entendre) et plus proche du PDC sur les questions économiques, on se dit finalement que l’on n’aura ni l’un ni l’autre. Ni le savant ni l’homme d’action. Que le meilleur sortira peut-être quand même des urnes mais dans la définition minimaliste qu’en donne le chroniqueur Christophe Gallaz: «le moins pire».
En attendant, «Les Sept piliers de la Sagesse», cela restera le titre d’un grand livre, plutôt que le sobriquet d’un petit gouvernement.