LATITUDES

Vieille et urbaine, la population suisse du futur

Dans vingt ans, la population suisse connaîtra un vieillissement accéléré. Combiné à l’immigration, ce phénomène induira de profonds bouleversements sociaux, analyse le démographe Jean-Bernard Racine, qui voit la solution dans les villes.

Une curieuse coïncidence veut que dans exactement vingt ans, en 2029, la génération la plus nombreuse jamais observée en Suisse prenne sa retraite. Les 131’000 baby-boomers de 1964 fêteront leurs 65 ans. A partir de cette date, l’Office fédéral de la statistique (OFS) table sur un vieillissement accéléré et inéluctable de la population suisse.

Dans tous les cantons, le pourcentage de personnes de plus de 65 ans s’élèvera à plus de 20% et la croissance de la proportion des grands vieillards sera massive (80% de 80 ans en plus d’ici à 2030). Les régions alpines et rurales seront particulièrement touchées par le phénomène. Les cantons urbains comme Genève, Vaud ou Zurich bénéficieront de flux migratoires assez importants pour permettre de rééquilibrer leur pyramide des âges.

Avec un rapport entre actifs et retraités, qui passera de 2 à 1 (contre 4 à 1 actuellement), les conséquences socioéconomiques seront multiples. «La société n’aura pas d’autre choix que de s’adapter à son vieillissement», explique Philippe Wanner, professeur de démographie à l’Université de Genève. Les adaptations seront d’abord d’ordre économique, avec la baisse des rentes et une inévitable prolongation du temps de travail. «Les entreprises devront valoriser l’expérience des anciens et aménager un environnement de travail qui leur convienne», estime René Knüsel, professeur de politique sociale à l’Université de Lausanne.

Les bouleversements seront encore plus profonds au niveau social. Certains parlent de l’avènement d’une «dictature de tempes grises», une dénomination que René Knüsel qualifie d’exagérée. «Nous assisterons certainement à une renégociation des rapports intergénérationnels. Actuellement déjà, les aînés sont surreprésentés dans les lieux de décision politique et possèdent une proportion énorme de capitaux. Le phénomène va s’accentuer et créer des générations «sandwich», qui devront travailler pour soutenir leurs parents et leurs grands-parents, mais aussi leurs enfants pour lesquels l’entrée dans la vie professionnelle se trouve sans cesse retardée.»

Parallèlement à son vieillissement, la population suisse continuera de croître et pourrait atteindre plus de 8 millions d’habitants en 2030, selon l’OFS. Cette croissance sera due avant tout aux flux migratoires, qui viendront de plus en plus loin. «Les sources de migration européennes vont se tarir, prédit Philippe Wanner. Ces pays se trouveront dans une situation similaire à celle de la Suisse. Les migrants proviendront principalement de pays en développement, ce qui risque de poser des problèmes d’intégration, car les différences culturelles seront plus conséquentes.»

L’augmentation du nombre d’habitants en Suisse induira une urbanisation accélérée de certaines régions rurales, comme Fribourg ou Zoug. L’étalement urbain, source d’engorgement des transports et de destruction du paysage, deviendra un problème majeur. Porte d’entrée des migrants dans le pays, les grandes villes connaîtront une croissance soutenue, à l’image de l’agglomération genevoise, qui comptera plus d’un million d’habitants d’ici à 2030, selon l’Observatoire statistique transfrontalier.

Or c’est justement des centres urbains que viendra le salut, pour Jean-Bernard Racine, spécialiste en géographie urbaine à l’Université de Lausanne. «Le mode de vie urbain deviendra incontournable pour les Suisses du futur. Lieu de service, de mixité sociale et de mobilité performante, la ville permet de répondre aux besoins des seniors, tout comme à ceux des migrants et des familles.»

Pour le professeur, les principaux enjeux consistent à donner à l’espace urbain des formes et un aménagement satisfaisant sur le plan esthétique, écologique et social. Pour cela, il s’agira de lutter contre la ghettoïsation, que ce soit de communautés de riches, ethniques ou liées à l’âge. Il faudra également en finir avec les banlieues, qui représentent une négation de la ville et existent uniquement au travers d’une relation de dépendance.

«Les grandes villes suisses, dont certaines se sont déjà lancées dans cette métamorphose, doivent devenir des pôles dotés d’une véritable urbanité, ce qui signifie des lieux de rencontre, de culture, qui prônent une mixité sociale, fonctionnelle et générationnelle. Il faudra investir massivement dans des transports publics performants et densifier les centres pour stopper le mitage des campagnes. J’imagine le moyen pays suisse comme un réseau de centres principaux et secondaires, reliés entre eux, possédant chacun et leur vie propre. Cette ville durable, socialement et écologiquement, sera la matrice de la civilisation de demain.»

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Une version de cet article est parue dans PME Magazine.