La rencontre gastronomique entre Merz et Ahmadinejad ne relève pas tant du cynisme, comme s’en indignent les Israéliens, mais plutôt d’une pitoyable incompétence, d’une faiblesse crasse du Conseil fédéral en matière de politique étrangère.
«Ces gens-là sont des cyniques.» Comme quoi dîner avec le diable, ce n’est peut-être pas très joli-joli. Mais c’est une façon comme une autre de se faire remarquer, d’exister enfin, fut-ce à travers une réprobation mondiale.
Qui aurait songé en effet qu’un jour, le très paisible Hans-Rudolf Merz, appenzellois et fragile du cœur, se retrouve dans la ligne de mire du Mossad? Se faire traiter de cynique par les services secrets israéliens n’est pas donné à la première lavette venue.
Un ancien directeur du Mossad donc, à l’unisson d’une réprobation israélienne sans faille, raconte ainsi, dans Le Temps, n’être pas outre mesure étonné par l’improbable et désormais très fameuse agape qui réunit, un dimanche soir d’avril 2009, au bout du lac, le président de la Confédération et son diabolique homologue iranien.
Ce Mahmoud Ahmadinejad, qui ne peut ouvrir la bouche sans regretter ouvertement qu’Hitler n’ait pas fini le travail. Une position encore éructée le lendemain du fameux repas, comme c’était cent fois prévisible, et sous les applaudissements enthousiastes des pays musulmans. Pas étonnés, non, les faucons israéliens, par ce dîner cordial, tant ces gens-là (autrement dit nous autres paisibles suisses sous la houlette de notre paisible président) sommes «des cyniques ne pensant qu’à leurs intérêts».
Le Mossad passe généralement pour une officine bien informée et les Israéliens ne se privent donc pas de rappeler que la Suisse a favorisé des transferts de technologies sensibles vers l’Iran, au mépris des embargo internationaux. Que sa ministre des affaires étrangères, dûment voilée, est allée l’an dernier parrainer à Téhéran, tout sourire, de gros contrats gaziers.
Reste que Hans-Rudolf Merz n’a laissé à personne le soin de défendre cette idée saugrenue de casser la croûte avec l’ami Mahmoud. Il invoque la nécessité du «dialogue, seul moyen de résoudre les problèmes». Et relate sans rire que face à Ahmadinejad, il s’est montré «très dur», «a posé toutes les questions qui fâchent» — nier l’holocauste, appeler à la destruction d’Israël, ce n’est pas bien, vous reprendrez bien un peu de caviar, cher ami?
Officiellement aussi, la Confédération rappelle qu’elle représente depuis la révolution de 1979 les intérêts américains en Iran. Une manière de se défausser sur l’oncle Sam, et d’essayer se faire bien voir du même oncle qui cherche des poux dans nos coffres-forts ces temps-ci.
L’un dans l’autre, il apparaît une nouvelle fois, comme lors du piteux abandon en rase campagne du secret bancaire, que le Conseil fédéral actuel, en matière de politique étrangère, n’a aucune ligne de conduite. Se laisse porter par les évènements au lieu des les infléchir, et aggrave même la situation par une tendance systématique aux décisions inopportunes, sans être capable jamais de rien prévoir.
Typiquement, Micheline Calmy-Rey a hésité jusqu’au dernier moment à participer à cette conférence sur le racisme dont chacun pouvait savoir des mois à l’avance qu’elle tournerait à la pantalonnade anti-israélienne et plus généralement anti-occidentale. Autre signe de mollesse diplomatique, d’absence de vues, de déficit de convictions et de manque de courage: la délégation suisse, contrairement aux pays de l’Union européenne, n’a pas osé quitter la salle au moment où Ahmadinejad entonnait ses sourates antisémites.
Ce que le journaliste élégiaque Pascal Décaillet résume d’une mâle métaphore: «La neutralité, c’est peut-être une forme d’abstinence. Pas d’impuissance.» Impuissance en effet, incompétence même, davantage que vrai cynisme: comment qualifier autrement la décision de manger avec un Ahmadinejad dont on savait pertinemment que le lendemain, date de la commémoration de la Shoah qui plus est, il révulserait, musulmans exceptés, la planète entière?