LATITUDES

Le gendarme suisse et les nudistes

Le petit canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures vient de se doter d’une loi amendant les marcheurs nus, de plus en plus nombreux à fréquenter ses sentiers pédestres.

Il y a quelques années, le canton du Valais a vu le retour des loups, la chaîne jurassienne celui des lynx, des ours ont élu domicile dans le Parc National. Autant d’espèces pas vraiment bienvenues.

En Appenzell, c’est une espèce peu poilue, bipède, se déplaçant principalement de jour et n’égorgeant pas les moutons, mais néanmoins perturbatrice, qui a fait son apparition l’été dernier. Non, les randonneurs nudistes ne seront pas abattus comme des plantigrades mais, en février, le parlement de ce petit canton s’est penché sur le sort à leur réserver.

Une amende de 200 francs devrait sanctionner leur sans-gêne. La décision sera soumise ce printemps à la Landsgemeinde. Est-elle recevable? Certains en doutent. L’affaire pourrait bien se terminer à Lausanne devant le Tribunal fédéral.

Déjà raillés dans bien des plaisanteries, les Appenzellois s’apprêtent à en rajouter une bonne couche. Il y a un quart de siècle, le gendarme Cruchot, incarné par Louis de Funès, se livrait à la chasse aux nudistes sur la plage de Saint Tropez pour la plus grande joie des spectateurs du film de Jean Girault. Aujourd’hui, Paul Broger, de la police cantonale d’Appenzell Rhodes Intérieures, prend sa relève avec un territoire de chasse oh! combien plus vaste et périlleux que les étendues de sable méditerranéen. A l’aide de jumelles, ses hommes partiront à l’assaut du domaine de l’Alpstein…

Ce massif a-t-il des airs de paradis? Toujours est-il qu’il aimante les marcheurs en costume d’Adam. Des photos d’alpinistes sans culottes sont parvenues au poste de police. «L’été passé les nudistes se sont incroyablement multipliés. Nous avons reçus de nombreux téléphones de parents préoccupés», commente le conseiller d’Etat Herbert Brogli. En septembre, un Suisse allemand de 44 ans tombait dans les filets de la police.

L’annonce de son arrestation s’est vite propagée sur le Net. Elle est parvenue en Allemagne, où les naturistes sont nombreux. Depuis, cette région incarne la pudibonderie et attire les adeptes de l’habillement minimaliste. Différents sites et forums narrent d’ailleurs les aventures vécues dans les alpages du coeur de la Suisse.

«En avril n’enlève pas un fil», dit le proverbe. «En mai fait tout ce qu’il te plaît», affirme un autre. Pas question pour les autorités politiques et judiciaires d’Appenzell d’envisager, avec l’arrivée des beaux jours, une nouvelle invasion de bipèdes à poil. Crise ou pas, cet hiver les a vu très préoccupés par ce sujet épineux.

Pour Melchior Looser (de son vrai nom), à la tête du département de Justice et Police, «il est impératif de protéger nos enfants de ce comportement immoral. De plus des touristes pourraient fuir notre région mal famée. Avec l’arrivée des beaux jours nous devons disposer d’une loi contre le nudisme». C’est chose en partie faite.

Le 9 février le parlement a pris clairement position. Une balade sans vêtement va devenir une infraction contre l’ordre publique et sera amendable à raison de 200 francs. A en croire les rumeurs, les opposants à une telle mesure sont rares. De plus, l’Association naturiste «Freikörperkultur» (FKK), qui compte 7000 membres, en Suisse tient à se distancier de ces randonneurs nus.

Son président allemand a félicité la décision des autorités appenzelloises et n’hésite pas à qualifier les marcheurs naturistes de «névrosés et de psychopathes» et estime que «la liberté des uns doit s’arrêter là où commence celle des autres».

Steve Gough qui a parcouru, nu, toute la Grande-Bretagne, a été confronté tour à tour à des lacunes judiciaires ou à une interdiction claire de se déplacer dévêtu. «The nacked rambler» met depuis des années l’île en émoi avec sa tenue d’Adam. Cet ancien marin de 49 ans milite pour la nudité publique qu’il assimile à un droit fondamental de l’homme. «La société est à la fois trop perverse et trop coincée pour l’accepter», juge-t-il.

La BBC en a fait une vedette en filmant un de ses périples. On y voit certes quelques personnes rencontrées qui se dénudent et font un bout de chemin avec lui mais surtout beaucoup de gestes obscènes et d’insultes adressés à cet original.

Pour la loi écossaise (différente de la loi anglaise), être nu, c’est troubler l’ordre public. D’où l’emprisonnement de Gough qui refuse de se rhabiller et comparaît nu à son procès en proclamant: «Je n’ai pas honte. Je suis humain».

L’exemple de Gough incitera-t-il les randonneurs nus de l’Alpstein à l’imiter à l’heure de leur interpellation?