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De l’art de se transformer en vilain petit canard

Dans le contexte des attaques contre le secret bancaire et des menaces du G20, la discussion sur l’initiative contre les minarets arrive au pire moment. Elle allonge la liste de nos ennemis et rend illisible le modèle suisse à l’étranger.

Dure semaine pour la petite Suisse et sa grande image. C’est Nicolas Sarkozy d’abord qui plante une énième banderille, le week-end dernier, en annonçant qu’à la question de savoir si le G20 allait placer le paradis fiscal confédéral sur une infâmante liste noire, la réponse pour l’heure était «plutôt oui». Suivi bientôt par les ministres allemand et français des Finances, Peer Steinbrück et Christine Lagarde. Steinbrück jugant même l’évasion fiscale comme une atteinte à la souveraineté de son pays. Bref la Suisse, grâce aux pratiques crapoteuses de l’UBS, a chaud aux fesses comme jamais.

Certes Eveline Widmer-Schlumpf a déjeuné avec le ministre américain de la justice Eric Holder et s’est entendu dire que les Etats-Unis n’étaient «pas intéressés par une escalade». De façon moins abrupte que les Allemands, les Américains en ont profité pour réaffirmer néanmoins leur doute face à la fameuse distinction suisse entre évasion et fraude fiscale, pas loin de faire rire le monde entier.

«La réaction négative» du peuple suisse face au «chantage américain» dont notre ministre des finances a informé ses homologues à Washington, risque bien de peser peanuts et d’être vue à nouveau comme une forme d’arrogance de la part de bûcherons bien décidés à continuer de vivre loin d’un monde décidément trop méchant et de ses lois tatillonnes.

Comme si cela ne suffisait pas, voici le moment venu d’examiner au Conseil national l’initiative de proches de l’UDC contre les minarets. Formidable: de quoi ajouter le monde musulman en son entier, après les Etats-Unis et l’Union européenne, sur la liste de ceux qui ne peuvent plus voir le drapeau rouge à croix blanche en peinture.

En attirant l’attention universelle sur une question qui n’existait tout simplement pas – quelques très rares minarets construits ici et là sans créer la moindre vague – l’UDC et ses amis font à nouveau acte délibéré de sabotage, donnant en pâture l’image fausse et caricaturale d’un peuple et de dirigeants suisses profondément islamophobes.

Les ultranationalistes osent en effet le proclamer sans la moindre vergogne: leur but est de lutter contre «l’islamisation rampante de la Suisse et le minage constant de notre Etat de droit». En n’hésitant pas, contre toute évidence, à peindre Allah et même Al Qaida, sur l’immaculée muraille de nos institutions: «Il est grand temps de fixer des limites, faute de quoi les minarets seront suivis par des muezzins et finalement par l’imposition de la charia en Suisse.» Ce n’est pas seulement jeter de l’huile sur le feu, c’est mentir effrontément.

Le Conseil fédéral est ainsi obligé de souquer ferme, de clamer partout que cette initiative n’a rien à voir avec la Suisse officielle. Trop tard bien sûr, le mal est fait et stupidement fait. Difficile de donner tort à Claude Ruey quand il affirme à propos de cette initiative «qu’on ne peut l’approuver sauf à suivre notre cerveau reptilien. Il est impossible de renier notre démocratie en brimant une minorité».

C’est là tout le paradoxe: outre de nuire à nos intérêts économiques, de faire planer un danger sur les populations, le texte de l’UDC s’attaque à la moelle même de nos institutions en prétendant les défendre. Rendant ainsi le modèle suisse encore plus illisible à l’étranger. Comme si soudain cette exception qu’on avait tolérée pendant des années, devenait d’un coup intolérable. Avec sa démocratie directe empêchant toute ligne soutenue, toute promesse et engagement sur la scène internationale. Avec son secret bancaire dont l’incongruité devient criarde face à une finance mondiale désormais en quête de moralité. Avec sa neutralité éthérée, égoïste, au-dessus des nuages de l’histoire.

L’électrochoc de l’attaque américaine contre l’UBS sera peut être salutaire. On a vu déjà Hans-Rudolf Merz abandonner soudain sa morgue tranquille, admettre que l’heure était venue de vastes concessions. Un sondage dominical montre d’ailleurs qu’une majorité de Suisses ne comprennent plus la logique hypocrite du secret bancaire, et voient bien qu’en matière de fiscalité, omettre c’est précisément frauder. Que c’en est même la définition principale.

Dans ce contexte de lent retour à une vision réaliste de ce que peut faire une Suisse modeste mais ferme, pour exister comme un véritable Etat et non un simple coffre fort sans âme, l’initiative contre les minarets semble un poison particulièrement insensé.