LATITUDES

La haute technologie du VTT

Les plus belles montres sont produites dans le Jura suisse. Les vélos les plus perfectionnés également. Exemples avec DT Swiss, BMC et Scott.

Il paraît que les Suisses raffolent de vélo tout-terrain. Cela tombe bien, la topographie vallonnée du pays se prête merveilleusement à l’exercice. Et pour les amateurs éclairés de belles mécaniques sur deux roues, pas la peine de se creuser trop longtemps les méninges: l’industrie locale propose parmi ce qui se fait de mieux.

En l’espace d’une décennie, la Suisse s’est bâti une réputation de premier plan dans le monde du vélo, plus spécifiquement le vélo tout-terrain (VTT). Une consécration qu’elle doit principalement à l’entreprise biennoise DT Swiss et à sa voisine de Grenchen BMC, ainsi qu’au géant Scott, certes d’origine américaine, mais dont les vélos sont désormais conçus à Givisiez (FR).

Implantée dans une région célèbre pour son activité horlogère, la firme biennoise DT Swiss a connu un développement sensationnel depuis sa création en 1994, sur les cendres de Tréfileries Unies SA, entreprise détentrice d’un savoir-faire séculaire dans la fabrication de rayons. En quinze ans, le nombre d’employés est passé de 28 personnes à plus de 300 aujourd’hui. L’usine originelle, engoncée dans des gorges, sert toujours de quartier général, mais de nouveaux bâtiments viennent d’être construits à proximité, en attendant qu’une nouvelle structure remplace les locaux d’origine, d’ici deux ans.

Si DT Swiss a acquis une renommée internationale, elle n’a rien abandonné de sa philosophie originelle, aux antipodes de l’industrie de masse. La presse spécialisée du monde entier loue fréquemment ce parti paris d’excellence. On parle de qualité, de technologie, de fiabilité, d’exception.

«Le plus impressionnant n’est pas la propreté médicale ni la clarté ou la manière dont tout est rangé, classé… le plus impressionnant c’est la sérénité et le calme dans lequel les tâches sont effectuées», relève le reporter du magazine français Bike (août 2008), qui a pu visiter les ateliers de Bienne. Et de poursuivre: «Que ce soit pour le méticuleux assemblage des pièces qui constituent les fourches ou la mise en place des stickers sur les jantes, tout le monde travaille à la manière d’un petit artisan passionné par son activité. Ici, la main d’œuvre se paye cher et est très qualifiée. Pas étonnant dans ce contexte que les produits DT Swiss soient si onéreux. Après avoir vu ça, on comprend mieux.»

L’entreprise helvétique ne fait pas mystère des ses orientations marketing: son coeur de cible se situe clairement dans le segment haut de gamme. «Le marché de masse ne sera jamais notre créneau», affirme ainsi Daniel Berger, responsable des relations publiques. Au total, 90% des produits DT Swiss sont fabriqués et assemblés à Bienne, si bien qu’un maximum de 50 fourches sortent quotidiennement de l’usine d’assemblage, et cela pour l’ensemble du marché mondial.»

Prix moyen l’unité: environ 1500 francs. Pour les esthètes, il y a matière à alourdir encore la facture, comme par exemple avec cette paire de roues en carbone, l’arme ultime en matière de légèreté (250 grammes de gagnés), facturée 4500 francs.

«Les produits DT Swiss, comme c’est aussi le cas des cadres BMC ou Scott, véhiculent une image de prestige, observe Aurélien Hutinet, rédacteur en chef du magazine Bike. Dans l’inconscient collectif, je pense que les amateurs font un parallèle avec l’horlogerie suisse et tout ce qu’elle symbolise de précision et d’excellence. C’est beau, c’est classe et ça fonctionne. On peut presque parler d’artisanat industrialisé.»

Le lien avec l’horlogerie s’avère d’ailleurs plus concret qu’il n’y paraît. Les entreprises de décolletage de la région, spécialisées dans l’usinage de mécaniques de précision, fournissent en effet de nombreuses pièces à DT Swiss. «Pour certains éléments qui composent nos moyeux arrière, notamment, nous faisons appel aux même entreprises que celles qui livrent les marques horlogères», explique Daniel Berger, sans donner plus de précisions.

La conception de nouveaux produits, la recherche de gain de poids et de rigidité constitue un souci permanent: «Nous suivons attentivement les développements de l’ingénierie aéronautique et militaire, relève Martin Walthert, chef du département Recherche et développement. Cela nous permet d’anticiper sur les tendances futures car ces milieux disposent de beaucoup d’argent pour expérimenter de nouvelles solutions.»

Si des standards précis existent pour certifier les différents composants d’un vélo (cadre, fourche, amortisseur, jantes, etc.), chez DT Swiss, on avoue ne pas se satisfaire des normes en vigueur: «Les tests imposés ne sont pas suffisants à nos yeux», relève Daniel Berger.

L’obstination des ingénieurs helvétiques débouche parfois sur des produits hyper exclusifs. C’est le cas de cet amortisseur arrière, recouvert d’un cache en carbone ultra fin moulé d’un seul bloc. La fabrication d’une telle pièce en carbone s’avère très complexe à réaliser car il faut retirer la partie intérieure du moule. «Tout le monde nous disait que l’on n’y arriverait jamais», sourit Martin Walhert

Le carbone, justement, règne aujourd’hui sur le haut de gamme de la planète VTT. Grâce à son poids très réduit couplé à une excellente rigidité, ce matériau a investit la plupart des composants des vélos dernier cri: de la potence au tube de selle, en passant par les pédales, les leviers de freins, l’enveloppe de la fourche et jusqu’à celle de l’amortisseur arrière, sans oublier l’essentiel: le cadre!

Or, si DT Swiss ne conçoit pas de cadres de vélo, et n’envisage pas de le faire, des synergies efficaces existent avec les firmes locales: Scott et BMC, passées maîtres dans l’art de façonner le carbone. Les cadres sont fabriqués en Asie, mais le travail de conception (ingénierie, modélisation informatique, design) a lieu sur les sites de Givisiez et Grenchen.

Chez Scott, le dernier bijou en date reprend le meilleur du voisin DT Swiss (roues carbones, fourche et amortisseur). Dans sa version «Limited», facturée 8500 euros, ce VTT affiche 10,5 kg sur la balance alors qu’il offre un débattement impressionnant de 150 mm, à l’avant comme à l’arrière. Un rapport poids/débattement tout à fait inédit, qui démontre combien le secteur continue de progresser: «Un vélo aussi polyvalent aurait été inimaginable il y a seulement trois ans, assure Aurélien Hutinet. Il y a dix ans, de tels débattements étaient encore réservés aux VTT de descente, deux fois plus lourds.»

Moins de poids, plus de débattement. Telle est la voie où s’engouffre aujourd’hui l’industrie du VTT, inféodée au dieu carbone. Non sans un certain malaise éthique: «Le gros point noir du carbone, c’est qu’il n’est pas du tout recyclable. Voici un matériau très tendance mais hélas peu écologique», souligne Aurélien Hutinet. Pas idéal dans un secteur si intimement lié au développement durable… Mais en attendant de trouver une alternative au carbone, les ingénieurs imaginent déjà le VTT de demain: «L’avenir est à une meilleure intégration des différents composants, estime Daniel Berger, chez DT Swiss. Nous travaillons déjà avec Scott, par exemple, pour concevoir certains de leurs amortisseurs, mais la synergie pourrait aller un cran plus loin. Il est imaginable que, d’ici quelques années, le cadre et le système d’amortissement, voire même les roues, ne forment qu’une seule et même pièce.»

Bien que la moitié des employés de Scott (dont une quinzaine de personnes vouées à la conception et au design) travaille à Givisiez, le fabricant préfère se vendre comme un acteur global. «Nous ne communiquons pas en tant que marque suisse», résume sobrement Reto Aeschbacher, responsable du marketing. Ce n’est pas le cas de BMC, qui souhaite tirer parti de ses gênes helvétiques pour sa stratégie marketing. Fondée en 1994, la marque jouit d’une réputation d’innovation, notamment grâce à l’entité BMC Racing, qui se distingue au plus haut niveau dans les courses professionnelles sur route.

La marque suisse, qui compte une cinquantaine de collaborateurs, se distingue également dans l’univers du VTT haut de gamme. Là encore, l’image de prestige de précision est au rendez-vous. Souvent primé pour la beauté de ses cadres, de forme très travaillée, BMC soigne les détails. Les choix techniques se veulent souvent originaux, comme la fameuse jonction ajourée entre le tube de selle et le tube supérieur, l’un des signes distinctifs de la marque.

Sur les 30’000 vélos (15’000 route, 15’000 VTT) écoulés chaque année par BMC, plus d’un tiers des clients optent pour la réplique exacte du cadre de l’équipe pro.

Excepté le cadre, les autres pièces du vélo proviennent de différents fabricants, dont l’incontournable DT Swiss… L’étape essentielle du montage fait ici l’objet de la plus grande attention. Chez BMC, on aime le travail bien fait, et le résultat s’en ressent. Comme les vendeurs de cycles ont coutume de le dire, les vélos sortis des ateliers de Grenchen ne nécessitent aucune préparation, hormis le réglage de la hauteur de selle…

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DT Swiss, l’artisan industriel

Pour DT Swiss, tout a commencé avec la fabrication de rayons haut de gamme, au rythme sage de l’artisanat. Le succès aidant, la société diversifie très vite ses activités. En 1995, elle lance le fameux moyeu Hügi (1995), qui représente aujourd’hui près de 40% de son chiffre d’affaire. L’entreprise prend encore de l’envergure avec l’introduction du premier amortisseur à air pour les vélos tout suspendus (2001), et surtout avec le lancement de jantes fabriquées à Bienne (2003). DT Swiss devient alors la première société au monde à produire elle-même tous les composants d’une roue. Les premières roues complètes sont donc rapidement proposées (2004). Et l’expansion se poursuit avec le rachat, en 2006, du département des fourches de l’anglais Pace Cycles. Enfin en 2007, l’entreprise biennoise commence sa propre production de pièces carbones.

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Une version de cet article est parue dans le magazine scientifique Reflex de décembre 2008.