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La gauche déchirée

Le PS et les Verts divergent désormais sur la nature du soutien à apporter à l’Ukraine. Au nom d’un pacifisme pas toujours maîtrisé.

Laval, Déat, Doriot: trois hommes venus de la gauche – modérée pour les deux premiers, communiste pour le dernier. Trois noms pour toujours attachés à la collaboration française avec l’envahisseur nazi.

C’est entendu, l’histoire ne se répète pas. C’est entendu, la Suisse n’est envahie par personne. Mais ce qui est sûr c’est que la guerre, surtout lorsqu’elle se déroule à quelques encablures, comme celle menée par la Russie belliciste contre l’Ukraine pacifique, a toujours posé à la gauche, à toutes les gauches, des équations compliquées et spécifiques.

Pas facile par exemple, de savoir où placer le curseur du pacifisme, attitude et principe que la gauche ne peut éliminer d‘un trait de plume ou d’un claquement de talons sans se renier. Ni comment résoudre cette terrible aporie voulant que pacifisme et collaboration s’attirent comme des aimants malgré qu’on freine des quatre fers.

C’est ainsi que la gauche suisse se retrouve aussi brutalement coupée en deux. Le PS, longtemps réticent, s’est rallié à la possibilité de réexporter du matériel de guerre suisse en Ukraine, tandis que les Verts campent sur un refus de principe.

L’ampleur du pacifisme vert a pu se mesurer lors d’une récente assemblée des délégués où les éminences écologistes ont eu à prononcer sur un amendement prévoyant des exceptions à l’interdiction de réexportation, «en vue de protéger la population civile, dans des cas fondés, comme l’attaque de l’Ukraine par la Russie». Le résultat a été sans appel: quatre voix pour, neuf abstentions et une solide centaine de niet. Il semble donc que pour les Verts les principes pèsent plus lourd que les vies.

Et tant pis si le principe en question, le pacifisme, a pour effet objectif ici de faire le jeu de son contraire, le bellicisme, en l’occurrence celui de la partie russe.

Si à droite le refus de soutien militaire à l’Ukraine, représenté par la seule UDC, a davantage pour cause une préférence politique envers l’autoritarisme poutinien face à la démocratie atlantiste et pro-européenne de l’Ukraine, à gauche c’est bien la puissance –et la grandeur – de l’idée pacifiste qui paraît à l’œuvre.

Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter, à l’intérieur du PS, la voix la plus virulente, et désormais dissidente, contre la réexportation d’armes, celle de l’ancien conseiller national Andreas Gross. Ancien conseiller national mais surtout fondateur du GSsA, le groupe pour une Suisse sans armée: «Le pacifisme, dit-il, est un concept anti-violent qui doit être maximisé dans la neutralité, or la Suisse l’a minimisé.»

Voilà qui est joliment dit. Sauf que de ces belles paroles rien ne parait pouvoir sérieusement découler. Andreas Gross a beau revendiquer, contrairement à l’indifférence de l’UDC, «un soutien à l’Ukraine, mais différent», les exemples qu’il donne de ce soutien font au mieux sourire. Comme le triplement «du montant d’aide à la survie en hiver» ou l’organisation  par l’ONU «de cascades de référendums en Crimée, comme les Bernois l’ont fait pour la question jurassienne».

En voulant croire, bon enfant, «qu’à un moment donné, les Russes seront forcés d’entrer dans le jeu des négociations, lorsque le coût de cette guerre sera pour eux supérieur à ses bénéfices». Ce n’est en tout cas pas en refusant de livrer des armes à l’Ukraine qu’on contribuera à l’augmenter, ce coût.

Andreas Gross reproche enfin à ses camarades d’avoir cédé à la pression notamment de l’Europe. D’avoir même «capitulé devant la pression morale, la pression à être comme les autres».

Capituler devant la pression morale? Ce pacifisme là, inconsciemment, se revendiquerait-il comme immoral? Au moment, zut, où l’on allait écrire que telle était la tragédie des Verts suisses et de tous ceux à gauche qui refusent d’aider l’Ukraine: devenir, au nom de beaux et nobles principes, les alliés involontaires, mais fidèles, du satrape de Moscou.