LATITUDES

Sous les pavés: les galets

Ils sont partout, les galets. On retrouve leur forme dans d’innombrables gadgets, dans les motifs de décoration et la publicité. Parce qu’ils sont lisses comme notre société?

Il y a quarante ans, on lançait des pavés. Aujourd’hui on se masse avec des galets. Des cailloux arrondis ont remplacé les blocs anguleux transformés en projectiles. Le lisse après l’âpre.

Dès le réveil, vos pieds sont massés sur un tapis de bain en galets véritables. Entre vos mains, un savon-galet, parfumé à l’aloé vera, au géranium ou au pamplemousse vous prodigue sa mémoire de l’eau. «Sur le bord des rivières, les galets, aux couleurs changeantes, gardent en mémoire le passage des flots. Ce savon restitue la caresse fraîche et apaisante de l’eau», lit-on sur l’emballage.

L’heure est venue de prendre le chemin du travail, muni de votre iPhone en fome de galet noir impeccable. Dans les vitrines des bijoutiers, des fleuristes ou des opticiens, des galets de toutes tailles servent de présentoirs. Leurs courbes sensuelles évoquent la pierre chaude sous le soleil d’une plage.

Arrivé au bureau, vous ouvrez votre courriel en cliquant sur votre souris «Pebble». Son nom l’indique en anglais, elle adopte comme tant d’autres gadgets technologiques la forme ergonomique du galet. En séance, vous prenez place autour d’une table au milieu de laquelle trône un énorme bol rempli de galets noirs. Une spécialiste en feng shui a aménagé les lieux.

En fin de journée, vous vous accordez un massage «aux galets chauds» et de retour chez vous, vous vous reposez sur des coussins galets «Livingstones» de Stéphanie Marin qui apportent un look zen à votre intérieur.

Les galets sont partout. Inutile de vous plonger dans la presse pour tenter de leur échapper. Depuis peu, ils ont débarqué dans les publicités. Ainsi, on accède à la nouvelle «Saab 93 xwd» en sautillant d’un galet à l’autre. La banque Vontobel les entasse pour évoquer le rendement de ses coupons, tout comme Sandoz qui fait la promotion de son «Magnesium» avec un cairn de quatre galets.

La littérature se mettrait-elle au diapason? Les deux premiers romans de la rentrée que je viens de lire se passent sur des plages de galets qui partent à l’infini sur les rives de la Manche. Côté anglais avec l’ouvrage de Ian McEwan «Sur la plage de Chesil» (Gallimard) et, côté français, à Etretat, dans «Les pieds dans l’eau» de Benoît Duteurtre (Gallimard). Deux œuvres d’auteurs qui, dit-on, aiment jeter des pavés dans la mare…

Sur Flickr, on trouve de nombreux groupes de photographes fascinés par les galets. Leurs formes plaisent, caressent dans le sens du poil et intriguent. Parce que lisses comme notre société, semblables sans être identiques, comme les citoyens qui la composent?

Il y a vingt-trois siècles, Aristote formulait une énigme non élucidée à ce jour: «Pourquoi sont-elles rondes, ces pierres que l’on retrouve sur les plages que l’on nomme galets, alors qu’elles proviennent de pierre longues et de coquillages?» Les galets ne se laissent pas mettre en équation. Pas circulaires, pas sphériques. Des œufs qui n’en sont pas…