L’accident cardiaque de Hans-Rudolf Merz a eu un bref effet d’apaisement sur le microcosme. Et généré quelques secrètes espérances. Mais déjà, les couteaux sont ressortis.
Il ne faut pas le dire, mais tout le monde l’a laissé entendre: l’accident cardiaque du pourtant plutôt respecté ministre des finances Hans-Rudolf Merz a généré pas mal de petites espérances politiques et fait quelques heureux qui ont su, bien sûr, garder la mine contrite.
A commencer par un Conseil fédéral sous pression comme rarement, et qui respire mieux soudain. L’atmosphère de guerre de tranchées qui régnait depuis plusieurs mois s’est évaporée comme par miracle pour faire place, un instant, à une compassion d’église.
L’odeur du sang a été remplacée par celle de l’encens et du recueillement, rabotant d’un coup les clivages politiques. Plus de phrases assassines: mots graves désormais et longues figures.
Au point que parmi les plus affectés, on trouvait le popiste Joseph Zysiadis qui avait participé avec Merz à la Semaine du goût à Saint-Gall, quelques heures avant l’infractus ministériel. Trêve alors? Retour à la raison? Au consensus feutré? Le socialiste genevois Carlo Sommaruga a eu vite faite de dissiper les doutes, pronostiquant que cette empathie, ces apaisements «ne dureront que quelques jours».
Effectivement, dans la foulée, l’examen du fameux programme d’armements — 917 millions pour moderniser les F/A 18 et acquérir de nouveaux blindés — s’est transformé en tribunal où se joue la tête de Samuel Schmid. Un Samuel Schmid que l’on pouvait dans un premier temps croire sauvé par le gong du malheur frappant son collègue Merz. Pour actionner la guillotine, ses ennemis devraient attendre un peu, question de simple dignité.
De plus, si Merz devait ne pas reprendre ses fonctions, ce serait en principe Samuel Schmid qui deviendrait président de la Confédération pour 2009. Bref, un éphémère retournement de situation après l’horrible été du ministre de la défense.
Le parlement a néanmoins vite repris ses esprits et sorti les couteaux, avec la désormais traditonnelle alliance rouge-brune à l’œuvre. Le torpillage du programme d’armement par la gauche (au nom d’un antimilitarisme de principe) et par l’UDC (au nom d’une vindicte plutôt obscène) aura probablement raison de Samuel Schmid.
Les malheurs de Merz pourraient cependant profiter de façon plus durable à d’autres. Pascal Couchepin peut par exemple entrevoir là une occassion rêvée de prolonger un peu son séjour bernois, puisque l’ordre de marche des radicaux prévoyait d’organiser d’abord la succession du Martignerain, puis celle de l’Appenzellois. La posssibilité désormais est forte d’une inversion de calendrier.
Eveline Widmer-Schlumpf de son côté, qui assure l’intérim aux Finances, devrait pouvoir en profiter pour aquérir une dimension définitive au sein du Conseil fédéral, ainsi qu’une légitimité qui lui faisait défaut, comme à tous les bénéficiaires de putsch.
Les comploteurs du 12 décembre doivent d’ailleurs se féliciter d’avoir eu la main si heureuse en choisissant cette spécialiste pointue des finances publiques, dotée en sus de solides accointances avec les milieux bancaires. Précieux, très précieux dans le contexte actuel.
Une des causes avancées d’ailleurs à la défaillance de Merz est le stress liée à la crise financière mondiale. Certes le président Couchepin s’est voulu rassurant: «Toutes les mesures ont été prises, la Suisse a été parmi les pays qui ont le plus capitalisé. Les experts des départements des Finances et de l’Economie sont sur le qui vive.» Avant de péjorer d’une seule remarque l’effet rassurant de cette annonce: «D’ailleurs je m’y intéresse moi aussi».
Du moins auprès de ceux qui se souviennent que, comme investisseur privé, Couchepin a laissé jadais quelques économies dans des placements hasardeux.
La maladie du ministre des finances a quand même fait quelques vrais malheureux: l’UDC d’abord, qui va vite se mordre les doigts d’avoir viré de ses rangs la désormais incontournable Eveline.
La gauche ensuite qui devra bien constater qu’avec Widmer Schlumpf aux manettes, le Conseil fédral va glisser encore un peu plus à droite. Face à cette future dame de fer, on voit mal les pâlichons et convalescents perpétuels Leuenberger et Calmy-Rey peser bien lourd.
Un mot enfin sur le héros malgré lui de la semaine. L’ancien président du parti radical Rolf Schweiger, à propos de la probabilité d’un retour de Merz aux affaires, dévoile un trait de sa personnalité qui en ferait un honnête homme ou du moins un vrai sage: «Il peut vivre sans la politique». Ou, comme le disent les correspondants bernois du quotidien «Le Temps»: «Tous les hommes politiques ne rêvent pas comme feu Jean-Pascal Delamuraz de mourir au bureau.»