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Une fumante leçon de démocratie

L’amusant retour de la cigarette à Genève démontre avec éclat qu’équité et volonté populaire ne sont pas toujours parfaitement synonymes.

Fumant. Vraiment. L’annulation par le Tribunal fédéral de l’interdiction de cloper dans les établissements publics genevois devrait réjouir tous les démocrates sincères, même non fumeurs — s’il y en a encore. Et nul besoin, pour partager cette allégresse, d’être membre cotisant du parti libéral.

Tant pis pour l’indignation médiatique. Tant pis pour l’éditorialiste de la Tribune de Genève traitant de jusqu’au-boutistes les partisans d’une vraie loi détaillée sur la fumée, une loi qui aurait été longuement discutée et pesée, truffée d’infinies exceptions. Et donc adaptée aux réalités humaines et conçue pour elles.

Jusqu’au-boutiste, c’est le règlement édicté dans la précipitation par le Conseil d’Etat genevois qui l’était: plus de fumée, nulle part, jamais, en aucun cas, pour personne et pour toujours.

L’approbation massive (80%) de l’initiative contre la fumée passive n’est pas une excuse. Le verdict populaire ne dispense aucune démocratie au monde de concocter patiemment des lois d’application inventives et nuancées.

La foule peut bien gueuler «Libérez Barabas!», cela ne suffit pas, en droit, pour signer tranquillement la mort du Christ. Sauf à revenir à une justice de brutes, à renouer, si l’on peut dire, avec la loi de Lynch.

On connaît le cliché: pas de pires fanatiques que les nouveaux convertis. Le fait pourtant que l’an dernier, après plusieurs décennies de volutes suicidaires, le chef du département genevois de la santé Pierre-François Unger ait héroïquement renoncé à la cigarette, a peut-être bien joué un rôle dans la hâte coupable du gouvernement à interdire d’auberge les amateurs d’herbe à Nicot.

D’autant que ce combat-là, s’il n’est certainement pas le plus juste ni le plus noble, est en tout cas le plus facile à mener pour un politicien aujourd’hui: il ne demande ni courage, ni réflexion et ne suscite aucune hostilité. Et permet, en plus, d’endosser le confortable et valorisant costume de chevalier aux blanches bronches, sous les hourrahs de la bien-pensance majoritaire. Tout en dispensant de s’attaquer à des nuisances autrement plus actives que quelques nuages de fumées passives: malbouffe, stress professionnel, solitude, insécurité, pollutions routières et aériennes, réchauffement climatique, et autres puissants agents du mal-être contemporain.

Le Conseil aux Etats, curieusement, a montré dans le même temps l’exemple à suivre. Critiquée pour ses atermoiements, sa tiédeur, sa timidité, la chambre des cantons n’en accouche pas moins d’un projet équilibré, tout en nuances, qui ne se contente pas de nier, comme on écraserait un mégot dégoûtant au fond d’un cendrier, l’existence encore de quelques fumeurs dans ce pays. Avec par exemple la possibilité pour les petits établissements — moins de 80 m2 — de rester fumeurs.

A l’inverse, c’est le chef du groupe PDC au Grand Conseil, Pascal Pétroz, qui a parfaitement résumé le pataquès genevois: «Le fait que le TF ait eu le courage de prendre cette décision malgré le plébiscite populaire prouve que l’on est dans un état de droit. Le contraire aurait été digne d’une république bananière.» Bananier en effet ce réflexe, lorsqu’il s‘agit de minorités ringardes – ici, les fumeurs — de s’estimer dispensé de tout effort d’équité et de démocratie.

Pour une fois, donnons également raison à l’UDC et son président genevois, l’inénarrable Soli Pardo: «On ne peut pas parler d’erreur mais d’abus d’autorité. Edicter un règlement d’application rédigé en une semaine sur un coin de nappe, ce n’est pas sérieux.»

L’occasion donc, pour une fois aussi, de crier à plein poumons saturés: vive le droit, vive la loi, et même, dans un dernier râle expectorant, vive la bureaucratie.