TECHNOPHILE

Les retombées pratiques de la recherche fondamentale

Depuis la médecine jusqu’à l’écologie, les innovations du Cern trouvent régulièrement des applications concrètes. Mais l’institution n’en tire parti que depuis le début de la décennie. Histoire.

Le 30 avril 1993, le Cern annonce que le World Wide Web, né trois ans plus tôt en son sein, pourra désormais être utilisé sans restriction par tout un chacun. La suite de l’histoire est connue. En moins d’une décennie, la Toile transforme la planète. La recherche fondamentale entraîne parfois des bouleversements très concrets.

Quantités d’innovations technologiques, souvent inattendues, doivent leur existence aux travaux menés au Cern. Qui aurait pu imaginer, par exemple, que la mécanique quantique trouverait un jour une utilisation concrète dans le champ informatique? Les méthodes de cryptographie utilisées pour sécuriser la transmission des données s’en inspirent pourtant directement.

Dans le domaine médical, les scanners TEP (tomographie par émission de positrons) utilisent aussi une technologie d’abord étrennée au Cern. «Nous avons pris conscience à la fin des années 90 que de nombreux développements technologiques trouvaient des applications dans d’autres domaines, explique Jean-Marie Le Goff, directeur du Technology Transfer (TT) Group. Cette constatation a conduit à la mise en place d’une unité spéciale en 1999. A cette époque, l’Europe accusait un sérieux retard sur les Etats-Unis, où le transfert d’innovations des laboratoires vers l’industrie était déjà très développé.»

Le Technology Transfer Group va vite s’avérer une plate-forme de choix pour le rayonnement de l’institution: «Dans les décennies creuses, en l’absence de découvertes spectaculaires, il importe de renforcer la visibilité de notre programme. Au plan politique, cette stratégie permet de mieux justifier les budgets requis, précise Jean-Marie Le Goff. Car les gouvernements ont besoin de substance concrète pour solliciter l’appui des organismes financiers et de l’industrie.»

L’avènement du TT Group coïncide avec une nouvelle approche de la recherche scientifique: «En l’espace de huit ans, un changement fondamental s’est opéré. En parallèle du modèle traditionnel, ouvert et gratuit (open science model), nous avons introduit un fonctionnement axé sur l’obtention de licences (innovation model). Désormais, le Cern a aussi comme objectif d’aboutir à certains résultats commercialisables (les bénéfices qui en découlent s’élèvent à environ 3 millions de francs). Aujourd’hui, lorsque nous sommes à l’origine d’une innovation technologique, nous essayons de déposer un brevet.»

L’unité dirigée par Jean-Marie Le Goff se compose de huit personnes. Elles veillent notamment à la protection de la propriété intellectuelle, préparent l’information promotionnelle et se chargent d’engager des contrats avec l’industrie. «De plus en plus de grandes entreprises recourent à nos services, à l’instar du néerlandais Panalytical, spécialisé dans l’imagerie à rayons X. Ces sociétés font ce que l’on appelle du inlicencing en utilisant notre technologie pour leurs produits.»

En quoi consistent ces contrats? «Les ingénieurs des firmes concernées se déplacent pour venir travailler chez nous. Le Cern met à disposition son savoir-faire et permet l’accès à ses locaux, tandis que l’industrie finance les travaux, fournit le personnel et apporte le matériel nécessaire. Ces contrats s’étalent généralement sur quatre ou cinq ans. Dans certains cas, nous demandons une copropriété des résultats du contrat pour l’exploitation de la technologie vers d’autres domaines. Nous menons actuellement une dizaine de projets de ce type.»

Parmi les travaux les plus prometteurs, les améliorations liées à l’imagerie par rayons X occupent une place de choix. «En développant, pour le collisionneur LHC, des instruments de mesure spécifiques, qui engendrent très peu de bruit numérique et analogique, le Cern a acquis une expérience unique, très adaptée à l’imagerie médicale. Nous collaborons notamment avec la société norvégienne Interon dans le domaine de la tomographie assistée par ordinateur (Computer Tomography).»

Le Cern est aussi cour­tisé par des labos spécialisés en biotechnologie, afin d’aider à la mise au point de techniques de fluorescence.

Last but not least, le secteur en vogue de l’écologie occupe ces jours-ci le devant de la scène. L’entreprise espagnole Corp SRB Energy s’apprête en effet à produire un nouveau type de panneaux solaires, basés sur le savoir-faire du centre européen.

«Le premier prototype a été construit sur le site du Cern, explique Jean-Marie Le Goff. Ces panneaux recourent aux technologies du vide (flat evacuated solar collectors) pour la confection d’unités thermiques solaires à haut rendement. Ils présentent le double avantage de fonctionner avec de la lumière diffuse — un atout déterminant sous nos latitudes — et de supporter une température de fonctionnement très élevée, de l’ordre de 350 degrés. Ces innovations rendent le solaire encore plus rentable.»