CULTURE

Coups de flash sur Rezo

L’agence genevoise multiplie les distinctions internationales. Elle vient de remporter trois prix du World Press Photo en deux ans. Rencontre avec son fondateur, Jean Revillard.

Des bouchons de champagne en rafale. L’année dernière, l’agence Rezo célébrait dans l’euphorie le prix du World Press Photo remis à Nicolas Righetti pour son reportage au Turkménistan. Une distinction rarissime pour un photographe suisse.

Et voilà, un an plus tard, que l’agence remet ça — avec deux trophées d’un coup! Son fondateur Jean Revillard reçoit le premier prix dans la catégorie «Contemporary issues» pour son travail sur les migrants à Calais, et le reportage de Philippe Dudouit au Kurdistan obtient la première place dans la catégorie «People in the news».

Mais comment la minuscule structure genevoise réussit-elle à s’imposer sur le marché archi-concurrentiel du photojournalisme?

Le travail de terrain. Début février, Jean Revillard était justement en reportage à Calais quand il a appris que le jury du World Press l’avait distingué. «La batterie de mon mobile était presque à plat. Je devais partager une prise électrique avec des passeurs…» Il était retourné pour la quatrième fois photographier les conditions de vie des migrants qui attendent de traverser la Manche. Leurs cabanes en forêt, soigneusement cadrées et éclairées, acquièrent sur ses images une dimension presque cinématographique.

«Je refuse de faire du misérabilisme, dit Jean Revillard. Par rapport à notre idéal de liberté et de réalisation personnelle, ces migrants devraient être considérés autrement. C’est pour traduire cette idée que j’ai utilisé les cabanes de Calais, en voulant placer le rêve des migrants en porte-à-faux avec les robinsonnades de notre enfance.»

L’éclairage. Les photographes de Rezo utilisent abondamment les flashes Quantum pour mettre en valeur leurs sujets. «C’est peut-être lié à nos origines, dit Jean Revillard. La Suisse est un pays qui a peu de couleurs, les politiciens que l’on doit photographier sont souvent assez ternes. On flashe pour ajouter du soleil.»

Quant au traitement Photoshop, qui leur est parfois reproché, «il vient ensuite, en plus, mais il n’est pas du tout central».

Les archives. Rezo a été l’une des premières agences photo indépendantes à utiliser les ressources de l’internet. «En 2001, raconte Jean Revillard, je m’occupais de l’iconographie pour l’hebdomadaire Dimanche.ch et j’avais remarqué à quel point il était difficile pour les journaux d’accéder aux archives des photographes. C’était simplement pour faciliter l’accès aux nôtres que j’ai lancé Rezo.ch. Mais très vite, les journaux ont commencé à nous commander de nouvelles images. C’est ainsi que l’agence est née.»

Les initiatives. Rezo ne se contente pas de son statut d’usine à commandes. «Nous essayons de privilégier les projets personnels, de lancer nous-mêmes les idées de photos, sans demande préalable des journaux.».

Ça marche un coup sur deux. Les reportages de Nicolas Righetti sur le culte de la personnalité en Corée du Nord et au Turkménistan ont fait l’objet de plusieurs publications (dont un livre aux éditions Umbrage-Olizane). Celui de Fred Merz sur les chiens dangereux et leurs maîtres, réalisé il y a deux ans, est encore régulièrement repris dans la presse.

Quelques uns des reportages de Rezo sont à voir ici.

L’équipe. «Il y a forcément des passages à vide dans la vie d’un photographe, et cela peut être très dur quand on travaille seul, dit Jean Revillard. A Rezo, nous essayons de nous tenir les coudes. Nous somme conscients que si l’un de nous se plante, c’est Rezo qui se plante. Mais on ne va pas se cacher la vérité: c’est sûr qu’il y a aussi une certaine compétition entre nous. En général, les photographes sont très individualistes. C’est un miracle que l’agence ait tenu le coup.»