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Le paradoxe Couchepin

Le grand homme de Martigny annonce qu’il rempile, fort d’une impopularité sans précédent et d’une bienveillance médiatique tout aussi inexplicable. Le peuple, lui, réclame du rab de vacances. L’un et l’autre n’étaient pas faits pour s’entendre

Il y a les accros et les autres. Parmi les accros: Pascal Couchepin. Parmi les autres: beaucoup de monde. On veut parler du travail. Le dénommé Couchepin, lui, s’y cramponne, adore ça, en redemande. A 65 ans, pas question de dételer ni détaler. En route pour un nouveau mandat.

Quant aux autres, tire-au-flancs généralement syndiqués, ils fantasmeraient plutôt sur les vacances. Du rab de vacances. Six semaines, rien que ça. Et pour tout le monde. C’est ce que demande Travail Suisse, à travers le lancement d’une initiative populaire. Au motif que si la productivité a augmenté depuis 1991 de 15%, les salaires eux n’ont connu qu’une chiche envolée de 4,3%, tandis que la durée minimale des congés restait bloquée à quatre semaines.

Pascal Couchepin plane à mille lieux de ce genre de basses considérations. Lui qui s’était fait, avec sa proposition de relèvement de l’âge de la retraite, le chantre du «travailler plus pour pas un rond» n’hésite pas à montrer l’exemple.

Le président des radicaux Fulvio Pelli a beau maugréer depuis des mois que le Conseil fédéral est bien trop senior pour être crédible, représentatif et avoir le regard fermement tourné vers l’avenir, le grand homme de Martigny n’en a cure. Pas plus que de la stratégie choisie par son parti pour mener campagne jusqu’à l’automne: plaider pour une Suisse jeune, urbaine, moderne, écologiste, féminine.

Comme l’ami Merz rempile également, on ne peut pas dire que les deux représentants radicaux au Conseil fédéral rendent vraiment justice à ce rafraîchissement d’image.

Mais Couchepin pouvait-il résister à la tentation d’endosser encore une fois — ce sera pour 2008 — la tunique de guide suprême? Une deuxième présidence de la Confédération, qui cracherait dessus?

Pour atténuer les possibles sarcasmes, notre boulimique le jure, doigts levés, et l’autre main sur le cœur: il s’en ira en cours de mandat. Quand? La réponse, goguenarde, fuse: «Vous verrez bien!». De là à penser que c’est tout vu…

L’appétence de Couchepin pour le pouvoir, son obstination à s’y accrocher, malgré des records d’impopularité, ne semble pas trop choquer gazettes et commentateurs. Il faut dire que cet homme cultive le paradoxe d’un désamour populaire sans précédent et d’une bienveillance admirative de la part des médias.

Comme si, en louangeant outre mesure le chef du département de l’Intérieur, la bulle médiatique pouvait enfin laisser libre cours à une tentation toujours refoulée: afficher son dédain du bon peuple, d’un gros des troupes qui n’a rien compris à la logique et à la nécessité de la croissance à tout prix, aux bienfaits éblouissants du libéralisme échevelé, au bonheur de travailler jusqu’au bord du tombeau et à l’humanisme reconnu des assureurs.

Un peuple décidément trop populiste, paresseux, timoré. Qui ne pense que lambinage, vacances, retraite anticipée, qui croit naïvement, stupidement, à l’existence d’autres valeurs que le
travail. Un peuple en somme irresponsable et conservateur. Tout le contraire de l’immense, du vaillant Couchepin.

La palme en ce domaine revient au tout nouveau rédacteur en chef du quotidien valaisan «Le Nouvelliste», qui n’y va pas avec le dos de la brosse à reluire pour évoquer «le flair», «le courage personnel», «le goût du combat» d’un Couchepin salué encore par cette envolée émue: «Il a la carrure pour gouverner encore. Et il entend le faire, solidifié, musclé par l’adversité et l’expérience.»

Pas autant solidifié tout de même que l’esprit critique d’un certain journalisme.