LATITUDES

La présence du père en salle d’accouchement

Doivent-ils vraiment assister à la naissance? La question est encore tabou, mais en privé, ils en parlent. Les pères ne cachent plus leurs peurs. De n’être pas à la hauteur ou de décevoir.

Les pères sont aujourd’hui quasi contraints d’accompagner la mère de leur enfant en salle d’accouchement, sous peine de passer pour des déserteurs. Certains d’entre eux sortent du bois et témoignent de leur réticence face à ce nouveau «passage obligé».

Un an après la naissance de sa fille, Thierry ne s’en est toujours pas remis. Ce jeune homme au physique de déménageur cache un être hypersensible que la vue du sang fait chavirer. Mais en père qui se respecte, il y est allé.

«Aucun de mes copains ne s’est débiné, raconte-t-il. J’aurais eu l’air de quoi en restant dans le couloir comme les hommes de la génération de mon père?» Depuis cette expérience traumatisante, le couple s’interroge. Lors d’une éventuelle nouvelle naissance, Thierry sera-t-il de la partie?

Encore tabou, la remise en question du passage obligé des pères en salle d’accouchement ne saurait être éludée. Lancer la discussion sur ce sujet lors d’un repas entre amis, c’est garantir des échanges sans fin.

Du côté des mères, l’éventail des regards posés sur la présence des conjoints est large. Du «iI était chou, n’a pas lâché ma main» au «franchement, c’est moi qui le coachais», en passant par le «depuis, il connaît mon courage», on enregistre des témoignages très contrastés.

Côté paternel, on retrouve une verve qui évoque les faits d’armes au service militaire. «Toute la nuit, ça a duré. Je ne crois pas que je me sois assis. Je suis sorti lessivé», «A un moment, la sage-femme m’a même demandé de l’aider», «Je ne sais pas si elle aurait tenu le coup sans mon soutien».

A croire qu’ils ont livré bataille. Mais entendus individuellement, ces pères ne cachent plus leurs peurs. De voir leur femme donner naissance. De n’être pas à la hauteur. De décevoir.

Plus de 73’400 enfants sont nés en Suisse en 2006, soit autant de pères confrontés à l’épreuve. Une épreuve qui se déroule dans un décor de moins en moins aseptisé. Les nouvelles salles d’accouchement ressemblent à des chambres d’hôtel luxueuses. Ainsi celle de l’hôpital de Delémont qui vient d’être inaugurée et fait de son lit parental une pièce maîtresse.

Toutes les parturientes ne bénéficieront pas d’un lit sur mesure ou d’un bassin d’eau tempérée. Nombreuses sont celles qui s’allongeront sur une table d’opération. Plus d’un enfant sur quatre naît par césarienne, avec d’importants écarts entre cantons (16,3% dans le canton du Jura et 37% dans celui de Zoug). Qu’en est-il alors des pères?

Bill Clinton, en précurseur, avait revendiqué lors de la naissance de sa fille Chelsea en 1980, son droit à assister à la césarienne de Hillary. La question fait toujours débat. Des arguments divergents conduisent maternités et chirurgiens à accueillir ou s’opposer à la présence des pères derrière le champ opératoire.

Le nouveau rôle des pères à la naissance n’a-t-il pas été défini à partir des seules aspirations des mères, privant leurs partenaires d’un accompagnement à devenir père? Actuellement, les hommes ne peuvent plus s’en référer au vécu de leurs prédécesseurs. Ils assistent à un événement purement féminin qui bien souvent leur échappe.

Des rites — tels que la couvade, pratiquée dans certaines cultures et anciennement chez nous — aidaient les hommes à accéder à l’état de père. Au cours de la couvade, le père simule les douleurs de l’enfantement et est ensuite alité aux côtés de la mère. Les rituels ont disparu. La formule idéale reste à inventer.

En attendant, «le plus important c’est que le père ait vraiment le choix d’assister ou non à l’accouchement. Il ne doit pas le faire juste pour faire plaisir à sa compagne», estime Christelle Bonnard, psychothérapeute spécialiste de la parentalité. «S’ils avaient vraiment libre choix, c’est-à-dire sans la pression sociale qu’il y a autour, je ne suis pas sûre que 10% des hommes assisteraient à l’accouchement», ajoute-t-elle.

La médecine fœtale facilitera-t-elle un meilleur partenariat parental à la naissance? «La société a une conception ancienne de la naissance, une conception qui date d’avant l’échographie», souligne le docteur Roger Bessis dans «Qui sommes-nous avant de naître?» (Calmann-Lévy).

Effectivement, si découvrir ensemble grâce à l’échographie le fœtus de son enfant est la conception moderne de la naissance, alors son vécu est moins douloureux et plus facile à partager pour les parents.