Dans les sphères du pouvoir, les femmes dotées d’une tessiture trop haut perchée sont désavantagées. Exemples par Margaret, Diana et les journalistes de télévision.
Quand la présidente de la Confédération se lance dans la chanson, cela n’indiffère personne. Démarche ridicule, déplacée, dégradante, voix terne, éteinte, monotone: un chœur de critiques s’est élevé, principalement en Suisse alémanique, pour disqualifier la prestation vocale de Micheline Calmy-Rey.
En son temps, le Premier ministre Lionel Jospin avait également chanté en public, sans générer la moindre réaction. En politique, il semble que les voix féminines posent encore problème.
Parmi les multiples explications données à la défaite de Ségolène Royal, aucune, à ma connaissance, n’a retenu le rôle joué par la voix de la candidate. Une voix qui lui a probablement fait perdre des voix.
Il est avéré que la gravité vocale est associée à la détention d’autorité et de pouvoir. Nicolas Sarkozy n’a pas négligé ce facteur. En comparant ses discours prononcés dans les années 90 à ceux d’aujourd’hui, on constate qu’il est parvenu à abaisser sensiblement sa tessiture.
Consciente du handicap que constituait sa voix haut perchée, Margaret Thatcher avait travaillé énormément pour l’élargir dans les sons graves. C’est de notoriété publique. La princesse Diana aurait d’ailleurs fait de même.
Anne Karpf, une sociologue britannique, a consacré un ouvrage fort intéressant à la voix humaine, «The Human Voice» On y découvre des informations surprenantes.
D’Aristote aux Simpson, l’auteur retrace l’histoire de la voix humaine et de son rôle social. Concernant la différence entre les sexes, une modification importante se serait déclenchée lors de la seconde partie du XXe siècle.
Des enregistrements de femmes — entre 18 et 25 ans — effectués en 1945 et 1993 mettent en évidence un écart moyen de 23 hertz, soit l’équivalent d’un demi ton plus bas pour l’enregistrement le plus récent. Ce que les coaches des chanteurs et les archivistes audio signalaient se confirme ainsi scientifiquement; la voix féminine baisse significativement.
Pourquoi un tel changement? Anne Karpf énumère un certain nombre d’hypothèses. Les femmes doivent toujours se battre pour trouver une place dans une société dominée par les hommes. Faire usage d’une voix grave pourrait faciliter la tâche. Et de citer l’exemple des présentatrices de télévision qui, sans un registre grave, n’ont aucune chance de décrocher un poste, «à moins d’être exceptionnellement belles»!
Lors de sa campagne, Ségolène Royal n’a pas ignoré qu’il s’agissait non seulement de convaincre mais de séduire les électeurs. Ses tenues vestimentaires et ses sourires devaient y contribuer. Le travail de sa voix a peut-être été négligé.
«Si vous parlez avec une voix haut perchée, vous devez vous en préoccuper comme vous le faites en maquillant votre visage», conseille Linda McDougall, la biographe de Cherie Blair et spécialiste des femmes à Westminster. «Dans les corridors du pouvoir, une voix haute est un repoussoir», observe-t-elle.
Depuis que les femmes n’ont plus uniquement un rôle de reproductrices, où seule importait leur apparence, mais également un rôle professionnel qui les rapproche des hommes, leurs voix tendraient à les imiter, estiment d’autres chercheurs cités par Anne Karpf.
L’explication de cet abaissement pourrait ne pas être sociologique mais purement physique. En effet, les cordes vocales jouent un rôle majeur dans la fabrication des sons. Or, la taille des femmes augmentant, leurs cordes vocales s’allongent également d’où leur fréquence plus basse.
La pression à mettre en sourdine les voix hautes remonterait aux années septante et serait très perceptible au cinéma. De plus en plus de femmes tenteraient de réduire l’octave qui les sépare naturellement des hommes à deux tiers d’octave.
Résultat: une expressivité moins grande et des blessures potentielles. Après avoir été réduites au silence durant des millénaires, les femmes doivent-elles donner de la voix dans un registre qui n’est pas le leur?