En refusant de toucher à l’organisation des départements, le Conseil fédéral a fait une nouvelle fois la démonstration de son amour de l’immobilisme. La preuve par la reculade du Grütli.
Il n’y a pas que la suppression des subventions pour la tonte des moutons ou celle de l’aide au retour des tsiganes roumains. Non, gouverner vous confronte à la prise de décisions autrement plus affriolantes. Comme se répartir les maroquins.
Le Conseil fédéral s’est donc enfermé dans un château de l’Emmental pour repenser la composition des offices et des départements. On attendait un grand coup de sac d’où devait émerger une plus fine cohérence de l’organigramme gouvernemental. Résultat rien, nada, on décide de ne rien décider et d’attendre pour voir.
La répartition actuelle date pourtant de dix ans et n’avait eu à l’époque comme ambition majeure que de retirer tout dossier important à Adolf Ogi, ne lui laissant que les domaines folkloriques: l’armée et le sport. Le résultat en avait été, par dominos, un département mammouth ingérable, le DETEC, regroupant l’environnement, les transports, l’énergie et la communication, confié qui plus est au très actif Moritz Leuenberger.
Autre incohérence de taille: la recherche et la formation supérieure se retrouvaient dans deux départements différents, l’Economie et l’Intérieur.
Il y avait ainsi, en Emmental, une double attente: réunir recherche et formation dans un même département, et créer — c’est une vielle marotte de Samuel Schmid — un super département de la sécurité regroupant militaires, policiers, gardes-frontière et espions. Le Conseil fédéral, en émergeant les mains vides de son trou d’Emmental, a montré, une fois encore, que sa principale philosophie était l’immobilisme.
A cette occasion, le quotidien Le Temps ressort du néant (on le trouve quand même chez Proust) le joli mot de «procrastination» pour qualifier l’attentisme gouvernemental.
Procrastination ou, selon le Petit Robert, «la tendance à tout remettre au lendemain». Un lendemain qui en l’occurrence aura lieu à la fin de l’année. La reine Micheline l’a promis: procrastination en mai, révolution en décembre, avec des chambardements qui seront effectués «dans l’intérêt du pays».
On en tremble déjà. D’autant que décembre ce sera après les élections et la réélection des Conseillers fédéraux, ce qui semble peu courageux. Pour la recherche et la formation, certes, les chefs des deux départements concernés, Pascal Couchepin et Doris Leuthard, conviennent qu’il faut les regrouper, mais chacun estime que ce doit être chez lui. Voilà qui sent davantage la petite gloriole personnelle que le grand intérêt supérieur.
Disons encore que le même quotidien Le Temps, décidemment ce jour-là en verve lexicale, parle, pour qualifier la façon dont Micheline Calmy-Rey a annoncé qu’elle n’avait rien à annoncer, de «xyloglossie». Les amateurs de grec auront reconnu «glossa », langue et «xulon», bois. Pour une fois, la proposition de Blocher (qui s’ennuie à Justice et police comme un requérant d’asile dans un café bellerin), à savoir tout chambarder et se répartir les lots par tirage au sort, était sans doute la plus audacieuse.
Mais que pouvait-on attendre d’un gouvernement incapable d’organiser la fête nationale sur la prairie-symbole du Grütli, laquelle, en plus, lui appartient? Personne, ni la Confédération, ni les cantons, ne voulant assumer les frais de sécurité occasionnés par la nauséabonde présence de bandes néo-nazies, la commission du Grütli a tout simplement annulé les festivités prévues. Micheline Calmy-Rey, qui devait y prononcer un discours, a annoncé qu’elle irait quand même.
Téméraire certes. Mais pour à la fois contourner la peste brune qui pollue année après année les célébrations du premier août, et susciter un nouvel élan, sortir du confort personnel et de l’immobilisme officiel, ne vaudrait-il pas mieux définitivement abandonner le Grütli, cette pâture à vaches, comme dirait le président de l’UDC Ueli Maurer, bonne pour des groupuscules justement bêtes à manger du foin?
Et célébrer la suissitude plutôt dans un lieu autrement marqué, loin de la pèlerine de Guisan mangée aux mites, un endroit, au bord du bucolique lac d’Aegeri, qui rappelle l’esprit de guérilla et de résistance, le fighting spirit de David affrontant Goliath, la ruse triomphant de la force et du nombre, le refus de toute xyloglossie et de la moindre procrastination?
En un mot, un seul: Morgarten.