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Rastignac prend l’Elysée

Nicolas Sarkozy représente la primauté de la force sur la négociation, le recours au chantage et à l’intimidation, la valorisation de comportements de parvenus. Une morale distillant la méfiance, le racisme, la conviction de se croire le meilleur.

Après une campagne électorale de cinq longues années, Nicolas Sarkozy l’emporte haut la main et va s’installer sous les ors de l’Elysée. Pour dix ans, sauf accident imprévisible, révolte sauvage, révolution surprise. C’est beaucoup. C’est même beaucoup trop si l’on veut bien prendre en compte les positions du vainqueur telle qu’il les a développées à loisir dans des médias indulgents.

Il y a bien sûr l’ambition. L’ambition en tant que telle n’a rien de condamnable en politique. Elle est même la condition nécessaire de la réussite. Mais chez Sarkozy, c’est l’ambition brute, égoïste, entièrement tournée vers sa petite personne. Il est des expressions parlantes. Annoncer une ambition présidentielle en disant y penser quand on se rase révèle un narcissisme qui n’a rien de transcendant, qui ne vise pas le bien public mais sa propre frimousse, qui ne dénote pas l’once d’une ombre d’altruisme. Ce type-là pensera toujours en premier à lui-même. Par réflexe, et l’on a pu voir au cours de ces dernières années que c’est un homme à réflexes peu enclin à la pondération et à la réflexion.

Cette ambition vient de loin, de la plaine d’Europe centrale: avec Sarkozy c’est un secondo qui entre à l’Elysée, un fils d’émigré de luxe, issu des beaux quartiers, mais fils d’immigré quand même. Avec ce que cela suppose de complexe d’infériorité par rapport à la Ville lumière. C’est un Rastignac qui prend le pouvoir.

Or la morale d’un Rastignac repose forcément sur un opportunisme à tout crin qui, chez Sarkozy, l’a amené à racler dans les fonds de tiroir du néo-conservatisme américain les pensées les plus kitsch, les plus obsolètes, les plus antimodernes qui soient: la primauté de la force sur la négociation, le recours permanent au chantage et à l’intimidation, la valorisation de comportements de parvenus prônant l’enrichissement sans vergogne. Le tout couronné par une morale distillant la méfiance vis-à-vis de l’autre, le racisme, la prétention à tout avoir, la conviction de se croire le meilleur.

En ce sens, vendredi dernier en Haute-Savoie, les tout derniers mots de sa campagne répétant son refus d’admettre la Turquie dans l’UE, non parce qu’il s’agit de l’Asie mineure mais en raison de la lutte contre l’islam vaut tous les kärcher qui l’ont précédé. La France, patrie des droits de l’homme, se trouve ainsi avec un antihumaniste militant à sa tête. On voit déjà poindre – avec le ton inspiré et profondément convaincu qui sied – les imprécations contre le droit-de-l’hommisme, le pédagogisme, et les -ismes divers qui turlupinent tout réactionnaire qui se respecte. Il ne manquera d’ailleurs pas d’appuis du côté des nouveaux philosophes qui, ainsi, arrivent enfin dans les ruelles du pouvoir.

Pauvre vieille Europe! Elle qui n’était déjà plus très vaillante vient de se prendre un méchant coup de bambou sur l’occiput. Car, le nouveau patron n’est pas seulement atlantiste en diable, prêt à emboîter le pas aux républicains d’outre-Atlantique mais il est aussi conformé hexagonalement, jacobin et centralisateur convaincu, imbibé de la grandeur de l’Etat français, de la grandeur de sa fonction publique, de la valeur incomparable de ses élites. Au narcissisme, s’ajoute un délicieux nombrilisme franco-français.

A toutes ces qualités portées massivement au pinacle par des électeurs éblouis par le bonheur promis et la rare opportunité de vivre dans un pays de Cocagne, il convient néanmoins de mettre un bémol. Le nouveau président est un pètesec de tendance bonapartiste. L’histoire, la grande histoire, n’a jamais été généreuse envers ce genre d’individus. Comment ne pas se souvenir de Victor Hugo accablant Napoléon-le-Petit:

    Qu’il n’aille pas s’imaginer, parce qu’il a entassé horreurs sur horreurs, qu’il se hissera jamais à la hauteur des grands bandits historiques. Nous avons eu tort peut-être, dans quelques pages de ce livre, çà et là, de le rapprocher de ces hommes. Non, quoiqu’il ait commis des crimes énormes, il restera mesquin. Il ne sera jamais que l’étrangleur nocturne de la liberté; il ne sera jamais que l’homme qui a soûlé les soldats, non avec de la gloire, comme le premier Napoléon, mais avec du vin; il ne sera jamais que le tyran pygmée d’un grand peuple. L’acabit de l’individu se refuse de fond en comble à la grandeur, même dans l’infamie. Dictateur, il est bouffon; qu’il se fasse empereur, il sera grotesque. Ceci l’achèvera. Faire hausser les épaules au genre humain, ce sera sa destinée. Sera-t-il moins rudement corrigé pour cela? Point. Le dédain n’ôte rien à la colère; il sera hideux, et il restera ridicule. Voilà tout. L’histoire rit et foudroie.