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Mademoiselle en perdition

Un sondage sérieux le montre: le langage inclusif, et même l’égalité de genre, la population suisse s’en moque assez largement. Pour de bonnes et moins bonnes raisons.

Les trois quarts s’en fichent. On ne parle plus que de ça ou presque, mais tout le monde, ou quasi, s’en tamponnent dans les suprêmes largeurs. Ce n’est pas le résultat d’un sondage à la va-vite, genre doigt mouillé ou micro-trottoir hasardeux, puisque l’enquête effectuée par l’Institut Leewas pour Tamedia et 20 Minuten a interrogé 31’000 personnes, avec une marge d’erreur réduite à plus ou moins 1%.

On sait donc à peu près désormais ce qui préoccupe vraiment les habitants de ce pays finalement comme les autres. Non, ce n’est pas l’égalité homme-femme, ni le langage inclusif, et encore moins les problématiques woke. Suivant le point de vue où l’on se place, sa sensibilité propre, la ténacité de ses à priori, ou son degré de militantisme, on pourra trouver les résultats d’un tel sondage étonnants, consternants, ou simplement logiques.

N’empêche, énoncés froidement, certains chiffres peuvent faire plus mal que d’autres. Que seul 23% de la population considère comme important le langage épicène, autrement dit une manière de s’exprimer respectueuse des genres, ou que nous ne soyons que 13% à prendre au sérieux les problématiques woke, cela n’est pas franchement une surprise.

En revanche que seuls 18% des sondés jugent l’égalité entre les sexes comme le problème le plus important, cela interroge davantage. Bien sûr dans cette affaire comme dans toute autre, chacun prêche allégrement pour sa paroisse et défend en priorité sa propre peau. C’est ainsi que 28% des femmes plébiscitent l’égalité comme thème majeur, quand les hommes ne sont plus que 10% à faire de même.

Plus globalement, une explication de ce peu d’attractivité de la notion d’égalité pourrait être trouvée dans le fait que de sérieux progrès ont été réalisés et que la notion d’urgence n’apparait ainsi plus aussi évidente. Selon un rapport du WEF par exemple, qui mesure au niveau mondial les écarts de genre dans les domaines économiques, politiques, de santé et d’éducation, la Suisse se place au dixième rang avec un «écart de genre comblé» mesuré à 79.8% contre 89,2% dans le pays le plus égalitaire du monde, la volcanique Islande.

Pour expliquer aussi que la notion d’égalité de genre n’empêche pas grand monde de dormir dans ce pays, on peut examiner à contrario ce qui provoque de vraies nuits blanches chez nos concitoyens, selon le même sondage: les coûts de la santé, la prévoyance vieillesse et les changements climatiques. C’est un peu la revanche du réel, de notions plus palpables et concrètes, et donc plus immédiatement douloureuses, que l’usage ou non du point médiant.

Sur ces trois thèmes jugés majoritairement prioritaires par la population, seul le bouleversement climatique semble avoir la résonnance qu’il mérite. Peut-être parce que la notion d’apocalypse est plus facilement porteuse et vendeuse que les thématiques souvent complexes et arides de la Lamal ou de l’AVS.

Les sujets en effet jugés non prioritaires par la population (questions de genre, wokisme, langage inclusif) sont surtout débattus dans des chapelles closes qui s’autoalimentent et s’auto-persuadent – universités, médias, partis politiques, associations militantes – sans grand soucis de se coltiner avec les aspérités quotidiennes et comptables des gens.

D’autant mieux s’agissant du langage inclusif, que le terrain est des plus mouvants. Le même sondage a par exemple a montré que des termes connotés sexistes continuaient d’avoir la vie dure – respectivement 74% de la population s’entête à parler d’«infirmière» et 73 % d’«hôtesse de l’air».

La seule éclatante victoire pour l’heure du langage voulu progressiste semble résider dans la lente évaporation de la formule de politesse «Mademoiselle», qui n’est plus utilisée que par un quart de la population, et sans doute pas la plus vigoureuse.

Une victoire peut-être bien en trompe l’œil. Un esprit chagrin pourrait faire remarquer que c’est un illogisme qui a été vaincu ici: trois formules pour deux genres. Que donc la disparition de «Mademoiselle», à l’heure du LGBTQIA+, est due à une pensée binaire qui considère que des genres, bêtement, il n’en existerait que deux.