LATITUDES

Sénèque et la brièveté de la DHEA

Fontaine de jouvence, élixir de longévité… Les allégations concernant la DHEA n’auront pas vécu bien longtemps. Une étude vient de leur porter un coup fatal.

Michèle revient des Etats-Unis sans les habituels flacons de DHEA destinés à ses amies. Elles ont appris par internet que cette substance est inefficace. A la place, elles ont demandé à Michèle de ramener de la mélatonine et des Oméga 3, pour continuer à se supplémenter préventivement.

Les pilules anti-âge, en vente libre aux Etats-Unis comme complément alimentaire, faisaient parties des bagages de voyageurs habitués aux vols transatlantiques. Depuis le début du siècle, en plus des innombrables sites de vente en ligne, des filières amicales entre quadras et plus alimentaient la plus récente des fontaines de jouvence entrevue par la science.

La déhydroépiandrostérone (DHEA) est une hormone naturelle synthétisée par les glandes surrénales à partir du cholestérol. C’est un précurseur de la synthèse d’hormones comme la testostérone, les œstrogènes ou encore la progestérone. Cette hormone est à son taux maximal aux alentours de l’âge de 24 ans, puis diminue de 20 % tous les dix ans pour atteindre une chute de production de 90 % vers 75 ans.

Parée de toutes les vertus par son fervent défenseur, le professeur français Etienne-Emile Baulieu, l’ «hormone de jouvence» vient de se voir asséner un coup qui pourrait bien lui être fatal.

87 hommes et 57 femmes de plus de 60 ans ont consommé durant 2 ans cet «élixir» sous le regard attentif d’une équipe de la Mayo Clinic (Minnesota). Aucun signe visible d’amincissement ou d’amélioration de la musculature ou des performances physiques n’a été observé. Seule une légère augmentation de la densité osseuse a été constatée.

L’étude de K.S. Nair et de ses collègue a paru en octobre dernier dans le «New England Journal of Medecine» (vol.355, no 16). Ses conclusions: «Nos données ne fournissent aucune preuve que la DHEA ou la testostérone à petite dose sont des suppléments hormonaux anti-âge. Elles renforcent au contraire l’argument qui s’élève contre l’utilisation de ces compléments dans un but de rajeunissement».

Un espoir s’évanouit. Pas de panique, un autre verra rapidement le jour grâce à l’impressionnant arsenal scientifique et technologique mis au service d’un projet qui a toujours hanté l’humanité: prolonger notre espérance de vie.

De Mathusalem à aujourd’hui, quel éventail de solutions envisagées! Les taoïstes, en Chine, misaient sur les vertus de la respiration et de la concentration mentale. Les Irlandais pariaient sur les îles lointaines où la vieillesse était inconnue. A la Renaissance, l’Italien Cornaro recommandait un régime alimentaire proche de la famine. Sous Louis XIV, rien ne valait une bonne purgation de temps en temps.

Le siècle des Lumières adopta un profil bas. Pour Buffon, «la panacée, quelle qu’en fût la composition, la transfusion du sang et les autres moyens qui ont été proposés pour rajeunir ou immortaliser son corps, sont au moins aussi chimériques que la fontaine de jouvence est fabuleuse» (dans «Histoire naturelle» publié en 1749).

Avec la Révolution s’opère une véritable révolution dans le domaine de la longévité. Condorcet promet à «l’homme nouveau» une durée de vie soumise à aucun terme fatal. «Elle s’accroîtra sans cesse, au rythme général du progrès» («Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain », 1795).

Au XIXe siècle, les restrictions de nourriture et de vie sexuelle ont la cote. On entre dans le Xxe avec le remède universel de Metchnikoff, le yaourt bulgare et celui de Voronoff, les testicules de chimpanzé. Le XXIe misait sur la DHEA …

Avec «Quand les centenaires seront jeunes» (Les Belles Lettres, 2006), Lucian Boia, historien de l’imaginaire, nous invite à un passionnant périple du côté de l’idée de longévité, de l’Antiquité à nos jours. Avec lui, on navigue entre mythes, science et civilisation. L’homme ne renoncera jamais au projet de réinventer la condition humaine en aspirant à devenir un dieu, conclut l’auteur.

Et si le problème de la durée de vie était mal posé? Sénèque répond à cette question dans «De brevitate vitae» («La brièveté de la vie»). Vivant au début de notre ère (4 av. J.-C,-65 apr. J.-C.), le philosophe constatait l’intérêt de ses contemporains pour l’aspect quantitatif, le nombre d’années, mais beaucoup moins pour l’aspect qualitatif du problème. A ses yeux, ils vidaient leur vie dans un tonneau sans fond. Cela a-t-il vraiment changé depuis?

Les propos du stoïcien n’ont pas pris une ride. «Comment dans notre existence donner un sens qui ne passe pas à une existence qui passe sans cesse?», s’interrogeait -il. «Nous n’avons pas trop peu de temps, nous en avons beaucoup de perdu. (…) Oui, brève est la vie, non que nous recevons, mais que nous nous sommes faite; à son égard nous ne sommes pas des indigents, mais des prodigues. La vie quand on sait en user, est longue.»

Rendre la vie non plus longue, mais plus dense. L’ étude qui viendra prouver l’inefficacité du message de Sénèque n’a pas encore vu le jour.