Les Verts ont le vent en poupe et rêvent même de Conseil fédéral. Mais plus l’environnement s’installe au coeur des débats, plus ils se font confisquer leur fond de commerce. Les écolos, bientôt victimes du réchauffement climatique?
Donc le vert est à la mode. Tellement qu’un Daniel Brélaz se voit déjà habillé en taille CF (conseiller fédéral) et que les écologistes vaudois veulent se battre tout seuls, comme des grands, pour doubler leur représentation au Conseil d’Etat, renvoyant les alliés socialistes dans les bras de Zysiadis. Avec ce vieux slogan destiné à montrer que le temps des alliances et des calculs est terminé: «Ni à gauche ni à droite, mais devant».
Même si, à Berne, dans l’optique d’un siège au Conseil fédéral, il faudra négocier serré avec le PS et le PDC. Et que, plutôt que devant, les écologistes batifolent surtout de tous les côtés.
D’un centrisme mou plus proche du PDC que du PS, jusqu’à un anarchisme libertaire à gauche de la gauche. Certains, comme le charismatique syndic de Lausanne, sont carrément hors catégorie et représentent surtout eux-mêmes. Brélaz d’ailleurs, selon la distinction historique des Verts allemands entre «fundi» et «realo», se définit lui-même comme «hyperrealo» et s’est prononcé en vain, au nom de cet hyperréalisme, contre la double candidature verte au Conseil d’Etat vaudois.
Mais le principal obstacle au triomphe programmé de la vague verte réside peut-être dans les raisons mêmes de son succès actuel: son cheval de bataille — la défense de l’environnement — a pris une telle importance sur les scènes nationales comme dans le grand raout mondialisé (spectre du réchauffement climatique oblige) que, vert, chacun le devient ou prétend l’avoir toujours été.
Une écologie parallèle s’affirme de plus en plus, proche du centre et de la droite, et qui compte, pour la lutte contre le réchauffement, sur l’initiative privée, qui serait, dans ce domaine là aussi, plus efficace que l’Etat.
C’est en tout cas ce qu’affirme Isabelle Chevalley, la présidente d’Ecologie libérale, prenant comme exemple le fait que les plus grands cimentiers mondiaux, pollueurs d’entre les pollueurs, se soient imposés des réductions de CO2 plus importante que celles exigées par le protocole de Kyoto.
Cette écologie-là préfère distribuer des ampoules économiques plutôt que des tracts, et juge que le rôle de l’Etat en matière d’environnement devrait se résumer à des mesures cadres.
La gauche traditionnelle enfin tente aussi de s’emparer du filon vert et met en avant qu’au contraire, seul l’Etat est à même d’imposer aux individus et aux entreprises les mesures drastiques et très impopulaires capables de sauver la planète. Ou comme le dit le conseiller national socialiste Roger Nordmann de «s’écarter de la ligne de plus grande pente, celle dictée par les impératifs de rendement à court terme ou la paresse».
La société civile également a des tentations de phagocyter les petits hommes verts. On voit ainsi en France une vedette cathodique, Nicolas Hulot, faire pression sur les candidats à la présidentielle, et imposer, y compris aux Verts officiels, un programme plus vert que vert, en menaçant d’être lui-même candidat.
Pour ne rien arranger, en Allemagne et en France, l’exercice du pouvoir a cruellement montré que les Verts étaient des politiciens comme les autres, englués dans des jeux d’appareil et de pouvoir, et dont la dernière idée serait d’appliquer le programme sur lequel ils ont été élus. Leurs adversaires politiques en auront d’autant moins de scrupules à leur manger le réchauffement de la planète sur le dos.
C’est ainsi qu’un chroniqueur vedette du «Monde» pouvait la semaine dernière se réjouir de ce que Tony Blair, en confiant à un économiste célèbre, Nick Stern, le soin rédiger un rapport volumineux sur les conséquences du changement de climat — devenu en quelques jours une Bible mondiale — ait démontré que le dit réchauffement soit «devenu un problème trop sérieux pour être laissé aux écologistes».
En Suisse, les Verts ont encore de la marge. Mais les socialistes se sont mis à l’environnement depuis longtemps, le PDC y vient, et les radicaux y viendront, eux qui vont tenter, lors des élections de 2007, de casser leur image de grand parti de vieilles barbes, en se présentant comme une formation «urbaine», pariant sur «la Suisse de l’intelligence».
Voudrait-on draguer le prototype de l’électeur écolo qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Il n’y aura plus guère comme repoussoir pour les Verts que cette bonne vieille UDC qui continuera de ricaner, longtemps et grassement, sur le réchauffement.
A consulter le rapport Stern, on peut entrevoir ce que sera cette écologie confisquée aux Verts. Stern affirme que ce n’est pas la croissance qui menace le réchauffement, mais le réchauffement qui menace la croissance, et que c’est bien cette dernière, contre l’idéologie verte, qu’il faut sauver. Comment? Par la recherche et la technologie.
Sauf que sous ces beaux vocables se cache l’arme absolue contre les gaz à effet de serre: le nucléaire. Les sociétés se retrouvent coincées entre deux choix: renoncer à presque tout et surtout à la sacro-sainte mobilité, ou se jeter dans le tout nucléaire.
Les Suisses, pas moins attachés au rendement à court terme et pas moins paresseux que les autres, ont déjà clairement montré leur préférence en rejetant en 2003 un moratoire sur la construction de nouvelles centrales, consacrant ainsi le début du paradoxe: les Verts, victimes du réchauffement climatique.