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Entre la calculette d’Hans-Rudolf et les belles phrases de Micheline

Conjoncture oblige, la Suisse engrange les milliards. Elle devrait en verser un aux pays de l’Est. Les raisons de dire oui sont multiples, des plus sordides aux plus généreuses

«Une broutille, une goutte d’eau sur une pierre brûlante.» La broutille, ce sont les 4,3 milliards inattendus de bénéfice dans les comptes 2006 de la Confédération — alors qu’un déficit de 700 millions était budgété — et la pierre brûlante les quelques 130 milliards de dette publique. Donc pas question de dilapider ce divin pactole, Hans-Rudolf Merz l’a fait savoir sitôt la bonne nouvelle divulguée. Et la presse, en l’occurrence lucernoise, d’applaudir cette prudence des deux mains avec son histoire de goutte d’eau et de pierre brûlante.

Merz a évidemment beau jeu de s’attribuer le rôle de Cassandre et de claironner «qu’il faut penser au lendemain même les jours de fête»: une série de charges nouvelles pointent en effet à l’horizon confédéral — la facture des intempéries 2005, la revalorisation des caisses de pension, de la l’assurance invalidité, la péréquation financière et autres factures encore plus absconses.

La gauche est dans son rôle en affirmant qu’au contraire, le moment est venu de distribuer la manne à tout vent, et spécialement dans la formation et la recherche. Pour l’instant la droite se frappe la poitrine et soutient son ministre des finances: promis, juré, cet argent ira au remboursement de la dette.

Seulement voilà: le pactole arrive à une année des élections fédérales, période propice aux mesures spectaculaires, aux cadeaux ciblés et aux gâteries corporatistes, histoire de flatter le souverain en lui caressant l’estomac. Un électeur que la notion même de réduction de la dette publique fait rarement frétiller, mais prêt à saliver en revanche devant la bonne parole: baisses des impôts, soutien aux familles etc.

Bien sûr à l’inverse il y a ceux qui s’agacent de voir cette annonce de bénéfice et de caisses pleines intervenir à quelques semaines d’une votation sur un milliard à distribuer aux nouveaux membres de l’UE, qui ont le tort de se situer un peu à l’est sur la carte. Une manière de signifier sans réplique au bon peuple que la Suisse a largement les moyens de verser cette obole, âprement négociée avec Bruxelles.

Tellement âprement que Bruxelles n’a réussi à imposer aucune de ses conditions — un accord juridique qui aurait engagé formellement la Confédération à une aide étendue à la Grèce et au Portugal, etc.

Cette contribution sera versée à raison de 100 millions par an pendant dix ans, alors que durant les sept prochaines années, l’UE, elle, se fendra de 33 milliards et que la Norvège, elle aussi non-membre, versera 1,7 milliard. L’Union, même si la Suisse n’a jamais voulu le reconnaître officiellement, estime qu’il s’agit d’un prix minimum pour l’accès — garanti par les accords bilatéraux — à un marché augmenté d’un coup de 75 millions de consommateurs et qui devraient gonfler le PIB suisse de 1,4 milliard.

Mais l’UDC, qui se targue d’avoir joué un rôle non négligeable dans l’assainissement des caisses de l’Etat («Plus d’UDC = Plus d’ordre dans les finances fédérales») — alors que l’embellie est due surtout à la conjoncture et à la vente des actions Swisscom — trouve que cela est encore trop cher et se désole à l’idée de «ces francs suisses qui iraient à l’étranger».

Les organisations patronales qui se vantent souvent d’avoir une calculette à la place du cœur, recommandent au contraire le oui, et remarquent par exemple que depuis l’entrée des nouveaux pays dans l’Union les exportations de machines ont grimpé de 16%.

Enfin, Merz lui-même, assis sur son tas d’or, rappelle que 100 millions par année, vu le budget «ce n’est quand même pas grand-chose» et que «c’est celui qui veille sur la caisse fédérale qui vous le dit». Ce n’est pas seulement le sourcilleux comptable du ménage fédéral qui le dit, mais aussi l’adversaire convaincu, depuis toujours, de l’adhésion à l’UE.

Dans la foulée, Merz estime qu’un non le 26 novembre compliquera singulièrement l’accès de la Suisse au marché européen élargi avec la mort programmée «de produits et d’entreprises», une baisse des recettes fiscales, des rentrées de la TVA.

Et d’ajouter sobrement: «Le compte est vite fait». Pour ceux toutefois que ces arguments bassement trébuchants indisposeraient, il reste la jolie version officielle, défendue par Micheline Calmy-Rey: le milliard versé aux pays de l’Est est un geste volontaire, désintéressé et généreux de la Suisse, une contribution à la justice et à la paix dans le monde.