GLOCAL

Allocations: la danse de l’arrosoir

Les mêmes qui plaident pour une émigration choisie et restrictive s’opposent à toutes les mesures natalistes. Ils condamnent ainsi la Suisse à une politique d’émigration massive. Explications avant votation.

C’est un combat qui fait pleurer dans les chaumières, même si c’est un combat à une thune. La loi sur l’harmonisation des allocations familiales, en votation le 26 novembre, propose, comme on sait, de fixer à 200 francs pour tout le monde et par enfant, le montant du bonus moutard, appelé aussi dividende couche-culotte.

Or actuellement la moyenne est de 195 francs. Tout ça pour ça, serinent donc les grippe-sous radicaux et UDC, qui se retrouvent, une fois de plus, main dans la main pour entamer la danse de l’arrosoir, ce coup-ci autour des berceaux.

On connaît l’argument: il est insupportable d’imaginer que le milliardaire de la Goldküste, père d’un enfant unique et gâté, reçoive ses deux cents francs, comme la fille-mère de Renens. Ce principe des subventions arrosoir est d’ailleurs le seul qui parvienne à transformer les mentalités radicales et UDC et leur faire, d’un coup, subitement, comme ça, l’espace d’une argumentation, honnir les riches.

Pierre Maudet, le patron des radicaux genevois l’a d’ailleurs affirmé haut et fort: ce ne sont pas les 500 et quelques millions que coûtera la mesure qui le gêne, ni l’atteinte au fédéralisme, qu’il qualifie d’argument «tarte à la crème», mais bien le fameux arrosoir: «Nous sommes contre cette politique sociale spectaculaire qui consiste à donner de manière non ciblée deux cents francs à tout le monde ».

Mais cette méfiance inhabituelle envers les nantis est vite oubliée, puisque le même Maudet cite en exemple de politique familiale plus efficace et juste que l’arrosoir «les frais de garde déductibles». Déductibles, oui, mais de quoi, si l’on sait que, selon des chiffres donnés par Caritas, 200’000 enfants grandissent dans des familles en proie à des difficultés financières chroniques et de plus en plus nombreuses à devoir recourir à l’aide sociale? La déduction des frais de garde en revanche est bien un cadeau ciblé pour le milliardaire de la Goldküste susmentionnée.

Mais les radicaux n’en sont pas à une contradiction près: la loi prévoit également une augmentation plus substantielle et significative pour les allocations à la formation –harmonisée à 250 francs. Si l’UDC n’a pas grand-chose à faire de la formation, en revanche, le parti radical s’apprête à mener campagne pour 2007 sur le thème de «la Suisse de l’intelligence et de la formation».

Enfin, les opposants radicaux et UDC à la loi sont bien obligés de soutenir qu’une augmentation des allocations n’aurait aucune influence sur un taux de fécondité calamiteux (1,4) et citent le cas du Valais qui a les allocations les plus hautes (260 francs) et un taux de fécondité parmi les plus bas.

Mais les démographes rétorquent que même les montants maximaux, même l’arrosoir, sont encore trop peu incitatifs pour inverser la courbe de dénatalité, et que les pays où le taux de fécondité s’est relevé sont ceux qui ont couplé à des hausses massives des allocations un congé parental autrement plus réaliste et généreux que les 14 maigres semaines suisses concédée à la mère seule.

La France est, à cet égard, le pays qui a le mieux réussi à redresser son taux de fécondité, proche de 2, avec des allocations d’un niveau tel qu’une mère avec quatre enfants n’a plus aucun intérêt à travailler.

En mettant les pieds au mur devant chaque mesure nataliste — allocations, congé parental, crèches subventionnées –, radicaux et UDC condamnent la Suisse à garder un taux de fécondité insuffisant pour assurer la relève des générations. Et donc condamnent la Suisse à une politique d’émigration ouverte, si ce n’est massive.

Les deux mêmes partis pourtant, on le sait, ont été les plus ardents défenseurs d’une politique d’émigration au contraire restrictive et fermée, plébiscitée récemment par le peuple.

Une politique que la Suisse ne pourra pas tenir, comme elle ne pourra empêcher une islamisation progressive de la société, la plupart des migrants, qu’il faudra bien accueillir sous peine de dépeuplement du pays, étant aujourd’hui de cette confession.

Pour revendiquer une politique d’émigration choisie, à la Sarkozy, il faudrait en effet déjà avoir un taux de fécondité français. La logique, et la simple cohérence, voudrait donc que ceux qui n’aiment pas les minarets rejoignent massivement le camp du oui le 26 novembre prochain, même s’il ne s’agit que d’une thune symbolique et même si cet argument n’est pas le plus honorable.

Sous peine, pour l’UDC et les radicaux, que la danse de l’arrosoir ne se transforme en la fable de l’arroseur arrosé.