On sait que la marche favorise l’activité cérébrale. Pourtant, les entreprises continuent à imposer la station immobile à leurs employés lors d’innombrables séances, séminaires et congrès. Un psychologue bâlois expérimente une nouvelle méthode: ça marche.
Vous avez remarqué? La station assise est généralement la règle là où les neurones sont sollicités. Que ce soit lors des congrès, des séances de travail ou des cours de perfectionnement, on demande aux convives de s’asseoir. Pareil dans les écoles et les universités.
Comme si la position statique favorisait l’activité cérébrale et l’apparition d’idées.
Il suffit pourtant d’aller marcher quelques minutes pour s’apercevoir à quel point les déplacements accélèrent la circulation des pensées. Pour réfléchir, méditer, imaginer des solutions ou prendre une décision, rien de tel qu’une petite déambulation. En solitaire ou accompagné puisque la marche favorise autant la réflexion personnelle que les échanges et la discussion.
Au quatrième siècle avant notre ère, Aristote avait déjà constaté l’action stimulante du mouvement sur la pensée puisqu’il enseignait en marchant (d’où le nom donné à ses disciples: les péripatéticiens, du verbe grec péripatein, marcher).
Deux millénaires plus tard, Rousseau lui emboîtait le pas: «La marche a quelque chose qui anime et avive mes pensées: je ne puis presque penser quand je reste en place; il faut que mon corps soit en branle pour y mettre mon esprit», lit-on dans ses «Confessions».
Même Alain Souchon* a remarqué ce lien secret entre les pieds et le cerveau. Il faut avancer pour avancer.
Et pourtant, dans les académies aussi bien que dans les séminaires d’entreprises, on continue à demander aux participants de s’asseoir, comme si on voulait stopper net leur activité cérébrale.
Les déplacements actuels n’encouragent pas davantage la méditation puisqu’ils sont effectués de manière passive. A l’ère postmoderne, le corps ne se meut plus, il est mû. Il circule en voiture, en avion, le plus rapidement possible, se privant ainsi du lien précieux entre la marche et la pensée.
C’est probablement lors d’une balade à pied que l’architecte et psychologue Konstantin von Bidder s’est aperçu de cette déperdition d’énergie. Il a réfléchi à une manière d’optimiser les échanges d’idées. Et à 63 ans, l’ancien directeur de Migros Club Bâle a décidé de concrétiser ses rêves en matière de formation continue.
Durant sa longue carrière, von Bidder a subi de multiples séances dont il ne sortait généralement pas grand-chose. Il se dit aujourd’hui persuadé que des balades par petits groupes s’avèrent bien plus «fertiles». Une pratique qu’il a introduite dans sa vie privée en organisant des promenades avec ses amis, pour partager les impressions d’un livre par exemple (il vient de raconter son histoire dans la Basler Zeitung du 2 septembre 2005).
Aujourd’hui, Konstantin von Bidder organise des «Rundgang» (tours) qui permettent aux particpants d’éprouver les modifications induites par la marche. Après avoir parcouru une courte distance à un rythme modéré, ils écrivent ce qui les a occupés (ou préoccupés) durant les jours précédents. Puis ils se remettent en route et, lors d’une deuxième pause, écrivent comment leurs pensées ont évolué.
Chacun s’approche alors d’un autre participant et, tout en se déplaçant en duo, partage son vécu. Enfin, le groupe se retrouve et chemine en se livrant à un grand échange d’idées.
Attention toutefois à ne pas avancer trop vite, car le tempo influence la pensée. «Lorsque je suis hors d’haleine, je ne suis plus en mesure de réfléchir correctement», précise von Bidder, qui constate que les joggers ont un visage crispé et ne débrident pas véritablement leur cerveau.
«J’aime faire la démonstration que pour apprendre, il n’est pas forcément nécessaire d’utiliser un projecteur, mais que nos propres pensées suffisent», explique von Bidder, dont l’expérience menée dimanche dernier dans un parc de Münchenstein à l’occasion de la «Formation en fête» a connu un grand succès.
En lieu et place d’un exposé, les participants ont pu éprouver le bénéfice de la marche sur leurs neurones.
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*«J’écris mes chansons en marchant. Dès que je m’arrête et que je me colle à un bureau, je m’endors…Quand on marche, le cerveau fonctionne mieux», confie Alain Souchon, grand adepte de la marche, comme d’ailleurs Théodore Monod à qui il dédie son dernier album.