LATITUDES

Elles ne veulent pas d’enfant

Les jeunes femmes sont de plus en plus nombreuses à exprimer ouvertement leur non désir d’enfant. Au risque de s’exposer à des commentaires désobligeants. Analyse.

«Moi, j’ai bientôt 30 ans, je vis avec un homme qui me correspond vraiment, confie Cracotte sur un forum. Je me suis beaucoup battue pour en arriver là où j’en suis.»

«Je n’ai pas de désir de maternité. Je ne suis pas dans le trip «sacrifice et don de soi». De plus, les couples avec enfants (petits ou grands) que je vois autour de moi me font fuir. Inutile de parler des exceptions, des rares qui arrivent à sauver leurs plumes.»

«Les bonheurs liés aux enfants ne m’attirent et ne me convainquent pas, en regard des contraintes, des angoisses voir des désillusions profondes que cela implique.»

Sur un autre forum, Aurore s’interroge. «Bonjour, j’entends pleins de filles dirent qu’elles ne rêvent que d’être enceinte, moi pas du tout! Parfois ça m’inquiète car je ne veux pas finir seule. Suis-je normale?»

En 2000, la tendance no kidding faisait très «ils sont fous ces Amerloques». Cinq ans plus tard, le non désir d’enfant débarque en Europe. Le magazine Elle a mené, en juin dernier (no 3098), une enquête sur ces femmes qui rechignent à pouponner et créent de nouveaux problèmes conjugaux.

Intitulé «Il veut un enfant moi non plus!», l’article donne la parole à des couples en proie à des désirs discordants en matière d’enfants. A l’image de Brad Pitt et Jennifer Aniston, séparés, semble-t-il, parce qu’il voulait un enfant et qu’elle n’en voulait pas.

Une enquête Ipsos menée pour le magazine Marie-Claire (juillet 2005) révèle que 66% des jeunes femmes de 20 ans répondent «oui, sans aucun doute» à la question «personnellement, avez-vous l’intention, un jour d’avoir des enfants?»

Si toutes les petites filles rêvent toujours d’avoir des bébés, un tiers d’entre elles hésitent lorsqu’elles sont parvenues à l’âge adulte.

N’est-il pas étonnant que l’on s’en étonne? Le slogan de mai 68 «Des enfants si je veux» n’est-il pas entré dans les mœurs?

Depuis l’arrivée de la pilule, désir sexuel et désir d’enfant suivent leur logique propre. Ce qui relevait du hasard relève désormais d’une décision personnelle.

Si, théoriquement, la maternité est devenue le fruit d’un choix, elle ressemble dans les faits souvent à un diktat. Dire son non désir d’enfant, c’est prendre le risque de s’exposer à des commentaires désobligeants. Ventre vide, immature, égoïste sont des remarques qui qualifient encore fréquemment le choix d’une vie sans enfant.

Chaque année, depuis dix ans, le Prix Orange récompense un roman écrit en anglais par une femme. Cette récompense dotée de 30’000 livres a été décernée cette année à Lionel Shriver, pour son roman, «We need to talk about Kevin» qui met en scène la mère (fictive) du serial killer de Columbine.

D’abord refusé par une trentaine d’éditeurs, cet ouvrage connaît aujourd’hui un énorme succès auprès de lectrices qui ne désirent pas enfanter. Elles en ont fait leur livre culte. L’analyse de la fibre maternelle qu’elles y ont découverte est venue conforter leur choix.

Lors de son entrée en littérature, Magaret Ann Shriver a choisi de devenir Lionel Shriver, estimant faciliter sa carrière en se masculinisant. Alors qu’elle n’était qu’une enfant, elle décidait de ne jamais devenir mère. Une résolution qu’elle a tenu. A 48 ans, elle n’a pas d’enfant et aucun regret mais admet avec humour que «le fait de lutter pour une société «childfree» n’a qu’un inconvénient: la disparition, après une génération déjà, de la race humaine.»

D’ici une cinquantaine d’années, se soustraire à la grossesse deviendra peut-être la règle. Des utérus artificiels reliés à des machines placentaires pourraient d’ici là remplacer le ventre des femmes. C’est la perspective qu’entrevoit le biologiste et philosophe Henri Atlan dans son dernier essai, «L’utérus artificiel» (éd. Seuil).