Ville-musée classée au patrimoine mondial, Prague est aussi un organisme vivant, qui se dote progressivement de réalisations neuves et audacieuses. Visite de la capitale tchèque (et européenne) du design.
Vlastislav Hofman et Olgoj Chorchoj ne se sont jamais croisés.
Le premier, grand maître du cubisme tchèque, a illuminé les années dix du siècle dernier par l’inventivité de ses formes. Son service à café noir et blanc en porcelaine a révolutionné le design à une époque où on l’appelait encore art plastique. Ses œuvres sont actuellement exposées dans l’une des salles d’exposition de la Maison Municipale (Obecní Dum) de Prague, fameux bâtiment Art Nouveau décoré par les fresques d’Alfons Mucha qui mythifient l’épopée slave.
Le second est un animal fantomatique du désert de Gobi, probablement contemporain du yeti, en tous les cas aussi discret que ce dernier. Aucun rapport? Aucun, absolument.
Sauf qu’Olgoj Chorchoj est le nom du collectif de designers tchèques dont tout le monde parle ces jours dans la République, et bientôt au-delà des frontières. Depuis qu’ils ont lancé leur boîte à idées au début des années 1990, Jan Nemecek et Michal Fronek ont peu à peu redonné ses lettres de noblesses à la grande tradition tchèque des arts plastiques, qui s’était dissoute dans le communisme et ses aberrations architecturales.
Disciples de Borek Sipek, pape du design pragois chargé par Václav Havel du réaménagement de certaines pièces du Château, les Olgoj Chorchoj ont une grande passion: le verre de Bohême, soufflé depuis des siècles dans les manufactures du pays. Normalement, le résultat est assez convenu: des verres à pied tarabiscotés, ultra-classiques, qui pèsent une tonne la pièce…
«Le savoir-faire a toujours existé, dit Jan Nemecek, dans son atelier-verrière sur l’île de Liben, dans un méandre de la Vltava. Mais il est vrai que les objets fabriqués restent d’un conventionnel affligeant. Nous avons voulu faire entrer le verre tchèque dans la modernité.»
Le résultat est assez séduisant: des chandeliers géants transparents aux tubulures parfaites, parfois coudés — mais les soudures sont invisibles, un exploit. L’autre obsession d’Olgoj Chorchoj, ce sont les casse-noisettes. Chaque année, le collectif imagine une nouvelle version de l’objet, distribué aux valeureux lauréats des Oscars tchèques de la publicité. L’engin n’est pas commercialisé, car il y a peu de noisettes dans le pays.
Ainsi va Prague, à cheval entre deux époques, suspendue au souvenir pluriséculaire d’une gloire architecturale et artistique qu’elle est en passe de réinventer.
Ville-musée, dont le centre historique tout entier est classé au Patrimoine mondial de l’Unesco, la capitale tchèque n’est pas Venise, malgré les bataillons de touristes qui s’abattent sur elle par essaims, toujours plus nombreux depuis que les compagnies aériennes low-cost en ont fait leur destination préférée en Europe centrale. Non, Prague n’est pas une cité pétrifiée dans sa magnificence passée, au charme décati et désuet.
Elle est un organisme vivant, qui se dote progressivement de réalisations neuves et audacieuses. Au milieu des années 1990, le premier bâtiment à avoir défrayé la chronique est la «Tancicky Dum» («La Maison qui danse»), de l’architecte californien Frank Gehry, associé au serbe Vlado Milunic. Leur immeuble courbe, contorsionné, semble sur le point de rompre. Ses concepteurs l’ont surnommé «Ginger et Fred» en référence au couple de danseurs, parce que les deux parties qui le composent semblent enlacées dans un pas de tango.
Le débat avait alors été très vif: peut-on, à Prague, construire du neuf? Ose-t-on commettre le pêché capital du geste architectural dans un environnement urbanistique unique au monde? Comment associer les splendeurs romanes, gothiques, renaissance, baroques, Art Nouveau (sous sa version Sécession Pragoise) au risque de l’esthétique 2000? Dix ans plus tard, le débat est tranché: on ose.
Ainsi, Jean Nouvel a-t-il commis, voici quelques années, un centre commercial géant et futuriste (hypermarché Carrefour, 14 salles de cinéma en multiplex, parking) dans le quartier de Smichov, sur la rive gauche de la Vltava. Le complexe, baptisé Andel («Ange»), du nom de la station de métro située dans ses entrailles, est plutôt réussi.
Même s’il a fait exploser le prix du mètre carré dans ce quartier autrefois très populaire, rempli de vieilles tavernes où la mousse locale — la brasserie Staropramen est à deux pas — ne coûte toujours que 70 centimes la choppe d’un demi-litre. Ce serait encore moins cher pour un verre plus petit, mais ceux-ci n’existent pas en pays tchèque, dont les citoyens sont champions du monde de la consommation de houblon.
Du côté de Prague 7, quartier de Holesovice, le musée d’art moderne mérite le détour lui aussi. Entièrement retapé en 1997, le Veletrzní Palác est un naviral-amiral de l’architecture fonctionnaliste en vogue dans les années 1930. Grand quadrilatère épuré, aux fenêtres carrées alignées au cordeau, il offre un atrium d’une exceptionnelle luminosité, sur lequel s’ouvrent six coursives dotées de bastingages en teck.
Les expositions permanentes abritent quelques perles, comme les tableaux du peintre cubiste Josef Capek, où les plans des maisons cubistes de Josef Chochol, dont la plus célèbre réalisation (un bâtiment d’habitation) se dresse rue Neklanová, au sud de la ville, en contrebas de la Colline de Vysehrad, où est enterré le compositeur Anton Dvorak, l’homme de la Symphonie No. 9, dite «Du Nouveau Monde».
On trouve aussi, Veletrzní Palác, quelques œuvres de Roy Liechtenstein, et des expositions temporaires où se manifestent les prémisses du renouveau pictural tchèque, en parallèle à la vivacité de la scène du design.
Revenons à Staré Mesto (la Vieille Ville), à côté de la Staromestké Námestí (Place de la Vieille Ville). Ici, la rue Dlouhá est devenue en deux temps trois mouvements, l’artère la plus tendance de la ville. Elle commence du côté de la Synagogue Espagnole, pour se terminer sur la rue Revolucní.
Au 33, le Roxy Club est un club cultissime, qui accueille régulièrement des groupes pop séduits par la petite taille du lieu. Les derniers mois se sont fait assez «lounge» (Air a joué ici à l’été 2004). Au No. 13, s’est installé le salon de coiffure londonien Toni and Guy, très hip, très cher. Au 30, le restaurant cialis ordering online est aussi prétentieux que fréquenté par de jolis people.
Au 7, la créatrice de mode cialis vancouver tient boutique. Le décor ultraminimaliste de son enseigne a été dessiné par Olgoj Chorchoj, comme celui du restaurant branché Dynamo, un vaisseau glacé vert d’eau encensé par Wallpaper. Il est situé non loin de la Karlovo Námestí, où l’on jettera, tout juste en contrebas, un coup d’œil intéressé à l’escalier baroque fabuleux de l’Eglise Saint-Jean Népomucène.
A propos de baroque, et pour terminer, il serait idiot de prétendre visiter Prague, encore plus de proclamer l’aimer, sans une prédilection particulière pour ce style explosif et politique. Politique? Politique oui: l’immense popularité de la réforme luthérienne (incarnée par Jan Hus et ses hussites de Bohême) provoqua la guerre de religion qui se termina par la victoire catholique autrichienne de la Montagne-Blanche en 1620, tout à-côté de Prague. S’ensuivit la Contre-Réforme, le tour de vis papal sur tout le continent, et l’érection d’églises toujours plus folles, toujours plus belles, toujours plus extatiques, toujours plus chères.
Un théâtre d’emphase, un statement politique sur le triomphe du sabre et du goupillon, traduit par exemple par les puissantes statues qui ornent le cœur de l’Eglise Saint-Nicolas de Malá Straná conçue par le grand maître du baroque de Bohême, Kilian Ignaz Dienzenhofer.
Là, Saint-Adalbert, un évêque en faux marbre (du bois en trompe-l’œil) de cinq bons mètres de haut, y terrasse un hérétique en lui transpercant la boîte crânienne d’un coup de crosse épiscopale définitif. Les soyeuses ondulations des murs pastels de la nef permettent une heureuse respiration après ce spectacle saisissant de réalisme.
Assez parlé, direz-vous. Il est temps de dormir, voire mieux si entente. A côté de la rue Dlouha, un nouvel établissement a surgi fin 2002, entre deux facades, baroques comme il se doit.
L’Hotel Josef est le seul établissement pragois à figurer dans le club des «design hotels» européens. Temple du minimalisme épuré, il égaie le blanc cassé de ses murs par quelques taches vives de rose ou d’orange. ll est l’œuvre de Eva Jiricna, architecte anglaise d’origine tchèque, grand nom international du style high-tech, à qui on doit la nouvelle Orangerie du Château et une collection de magasins luxueux à New York et Londres. Les balcons de plainpied des chambres du septième et huitième étage offrent une vue magnifique sur les toits en tuiles rouges de la Vieille Ville. Avec un peu de bonne volonté, on aperçoit même le clocher de Saint-Joseph en prenant son bain dans une baignoire transparente.
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Dormir
Hotel Josef
Rybná 20, Prague 1
Tel +420 2 21 70 09 01
Fax +420 2 21 70 09 99
Manger
Pálffy Palác
Valdstejnská 14, Prague 1 (Mala Strana)
Tel +420 2 57 53 05 22
Magnifique salle, située dans un vieux palais baroque qui abrite encore une partie du Conservatoire. Cuisine inventive, sorte de «fusion food» Mitteleuropa où l’ail et le safran se rencontrent sur une côte d’agneau. On y boit d’excellents vins locaux, comme le Frankovka (rouge) de Moravie qui s’est tellement amélioré depuis dix ans qu’il a fait oublier qu’il caracola, autrefois… en tête du classement des piquettes vinaigrées.
Compter environ 1500 couronnes tchèques par personne (50 euros), vins compris. Cartes de crédit acceptées.
Voir
Olgoj Chorchoj
Industrial design + architecture
Libensky Ostrov 1555, Prague 8
Tel +420 2 84 81 14 30
Fax +420 2 84 81 14 31
Quelques liens:
Le site de la Maison Municipale, abritant restaurant, bars, salles d’expositions et de concert, le tout dans un bâtiment Art Nouveau dont l’architecture mérite contemplation.
Portail d’entrée pour le meilleur du design tchèque contemporain (festival annuel en octobre)
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Serge Enderlin, journaliste, est responsable de la rubrique internationale du quotidien Le Temps, à Genève. Reporter, il a récemment publié «Un monde de brut», aux éditions du Seuil, avec Serge Michel et Paolo Woods.
Pendant 5 ans, Serge Enderlin a été correspondant à Prague pour différents titres francophones, dont Libération et Le Nouveau Quotidien.
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Une version de cet article est parue dans le magazine BabooTime du mois de mars.