KAPITAL

Les NFTs dans le creux de la vague

Prometteuse nouvelle classe d’actifs, les NFTs ont connu une croissance fulgurante en 2021, mais leur marché s’est désormais effondré. Ces certificats uniques et ultra-sécurisés, qui permettent d’authentifier un objet numérique, souffrent d’un déficit d’image auprès du public et des PME qui peinent, à tort, à comprendre leur intérêt.

Une version de cet article réalisé par Large Network est parue dans PME.

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Il y a deux ans, les acheteurs pouvaient débourser des millions pour les NFTs. Aujourd’hui, ces actifs numériques uniques – qui font référence par exemple à un fichier image, un article de jeu, ou un contrat –, ne valent plus grand-chose. «Après avoir connu un essor fulgurant, les NFTs sont dans une période de désillusion, mais ce n’est qu’une phase provisoire avant une reprise qui sera forte, estime Patrick Mimran, fondateur de NFTon, une plateforme d’art en NFTs. Nous sommes actuellement dans un creux, mais il n’y aura pas de retour en arrière.» Le marché est en effet à la peine: la capitalisation boursière des NFTs évaluée en ethers (la cryptomonnaie utilisée dans ce secteur) est en baisse d’environ 40% sur l’année 2023 selon la plateforme d’analyse NFTGo.

En septembre 2023, les NFTs subissaient un nouveau dégât d’image avec la publication d’une étude stipulant que «95% des NFTs ne valent plus rien». Le collectif d’experts en cryptomonnaies Dapp Gambl a analysé plus de 73’200 collections de NFTs, et sur ce corpus, plus de 69’700 ont une capitalisation de 0 ether. «Cette étude est trompeuse et sensationnaliste, réagit Antoine Sarraute, cofondateur de Wakweli, un protocole de certification de NFT. Elle ne mesure que la valeur de revente d’un type de NFT spécifique. Certains ont effectivement disparus, c’est normal puisque le marché évolue, mais cela ne signifie pas que les NFTs n’ont intrinsèquement plus de valeur.»

Souvent associés au monde de l’art, les NFTs peuvent être utilisés comme des certificats d’authenticité. Pour des produits physiques, le certificat sera par exemple un autocollant sur un sac à main, ou un tampon sur un document papier. Pour les NFTs, ce certificat est numérique et stocké sur une blockchain. Le réseau étant sécurisé, personne ne peut en modifier les droits de propriété ou en créer une copie. Le potentiel économique de ces actifs apparait donc prometteur pour de nombreux secteurs.

Une nouvelle forme de propriété

«Les NFTs sont les titres de propriété du futur. Indivisibles et complétement traçables, ils permettent d’être totalement souverain de ses biens.» Antoine Sarraute est cofondateur de Wakweli, spin-off de l’entreprise EverdreamSoft, basée à Genève. EverdreamSoft a été la première entreprise à développer un jeu vidéo où il est possible d’acheter des items (objets) du jeu, appelés assets, comme par exemple des armes ou des personnages, en tant que NFT. «C’était les premiers au monde à vendre des cartes de gaming uniques, sécurisées dans la blockchain, explique Chantal Läng, experte et advisor de Wakweli.com. Ce n’était pas encore des NFTs, puisque le terme n’existait pas encore, mais c’était l’équivalent à l’époque. Leur ancienneté leur confère une grande valeur aujourd’hui.»

Ces assets sont cependant victimes de scammers, des arnaqueurs vendant de faux produits, qui attaquent leur marché et dévaluent leurs produits. «Nous avons donc compris le potentiel de sécuriser les échanges et débuté les travaux sur Wakweli en 2021, un protocole de certification sur la blockchain», raconte Antoine Sarraute, cofondateur avec Shaban Shaame et Markéta Korteova. Le principe: des utilisateurs anonymes deviennent juges et valident ou non des assets NFT contre rémunération. En utilisant le principe de la théorie des jeux – qui stipule que toutes les parties ont intérêt à choisir la solution la plus bénéfique –, les juges peuvent vérifier un asset puis être défiés par d’autres utilisateurs. «Si il a été mal vérifié, le juge recevra une pénalité, alors qu’un travail bien fait est rémunérateur.»

La start-up, qui a levé 1,1 million de dollars lors de son premier tour de table au début de l’année, vise désormais à s’étendre à différents domaines d’activité. «En immobilier pour valider un titre de propriété, en assurance pour établir des polices personnalisées, pour les droits d’auteur, pour certifier des crédits carbones, etc. À terme, notre objectif est d’accompagner les marques dans la certification et la protection de leurs biens et de leurs propriétés intellectuelles notamment.» L’entreprise de huit employés finalise aujourd’hui son protocole qui devrait être lancé au printemps 2024.

Une opportunité pour les artistes

Les NFTs ont d’abord connu une vague de popularité dans le monde de l’art. Un nouvel univers s’ouvrait aux professionnels comme aux passionnés, qui se sont rapidement emballés. En 2021, l’œuvre «Everydays: The First 5000 Days» de l’artiste américain Beeple était par exemple vendue 70 millions de dollars. «Un montant démesuré, commente Patrick Mimran, fondateur de la plateforme de vente et d’achat d’art NFTon, lancée en 2022. Ce prix était déjà largement au-dessus du marché à l’époque. L’acheteur aura aujourd’hui grand mal à revendre son achat au même prix!»

Entouré d’un réseau d’une dizaine de développeurs freelances, Patrick Mimran vise à mettre les jeunes artistes en lien et à leur offrir une première visibilité. «Je voulais que les artistes puissent s’acheter des œuvres entre eux, et les présenter au public, à des prix accessibles, souvent moins de 300 dollars.» Son modèle d’affaire basé sur la commission imite celui des galeries d’art: le dépôt d’une pièce est gratuit et la plateforme prélève un pourcentage de 2,5% à chaque vente.

Pour l’entrepreneur qui représente une centaine d’artistes numériques, le modèle des NFTs permet une meilleure rémunération de l’artiste. «Dans les modèles classiques, un peintre qui vend son tableau au début de sa carrière ne touchera plus rien même s’il devient célèbre. Avec les NFTs, l’artiste peut toucher des royalties toute sa vie, à chaque revente, ce qui est bien plus juste. Ce modèle existe déjà dans la musique en streaming ou pour les films, il est temps de l’appliquer à l’art.»

Reste à convaincre. «Les acheteurs peuvent être freinés par les cryptomonnaies. C’est un système encore compliqué, peu connecté aux banques traditionnelles. Beaucoup craignent d’en acheter parce que la réputation des crypto est très variable d’une cryptomonnaie à l’autre.» Et les acheteurs ne sont pas les seuls réticents. «Les artistes sont aussi frileux face aux NFTs. Certains craignent l’arnaque, ne comprennent pas le principe. En 2022, la faillite abyssale de la plateforme d’échange de cryptomonnaies FTX a en outre accentué le dégât d’image.»

Nouvelle classe d’actifs

Le potentiel du marché des NFTs est conséquent: selon une étude du Boston Consulting Group, plus d’un milliard de personnes utiliseront des cryptomonnaies d’ici 2030. Et les projections de revenus sont importantes: le marché pourrait atteindre 3,16 milliards de dollars d’ici 2027 selon le cabinet d’étude Statistica. «Comme au début de l’informatique et du web, il y a tout à créer, c’est passionnant», se réjouit Chantal Läng. Cette cheffe de projets informatiques est active dans la blockchain depuis début 2017 et a créé Crypto Expert en 2020, où elle enseigne les fondamentaux de la cryptomonnaie à plus de 600 élèves. Elle publie aussi pour ses membres – 60 passionnés sélectionnés en fonction de leur formation en la matière et de leur aversion au risque – ses analyses sur 6’000 cryptos, grâce à son logiciel LesScoresDeChantal.com. «Les NFTs qui vont garder de la valeur sur le long terme sont ceux qui ont de la rareté (scarcity) – c’est à dire qui possèdent un détail que les autres n’ont pas, ce qui constitue un avantage comparatif par rapport à ceux existant en plus grande quantité – et qui sont établis.» La même logique s’applique aux timbres: une édition limitée aura plus de valeur qu’un timbre commun.

Alors pourquoi les NFTs continuent-ils d’inspirer de l’incompréhension et de la défiance aujourd’hui? «Parce que comme toute nouvelle classe d’actifs, leur acceptation prend du temps. Mais globalement, les courbes d’adoption des nouvelles technologies s’accélèrent. Internet a été plus rapidement accepté que le téléphone fixe, par exemple. Quand les jeunes se feront découvrir les NFTs les uns les autres et que les fournisseurs n’auront plus besoin de faire du marketing, alors la courbe deviendra exponentielle.»

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Quelques définitions

Tokens: Les jetons décrivent une unité numérique qui peut être échangée sur une blockchain. Ils peuvent représenter des cryptomonnaies, des biens virtuels, des droits d’accès, etc. Les types de tokens les plus courant sont les «security token», qui font référence à une part dans une entreprise – à l’instar des actions dans la finance traditionnelle –, les «utility tokens», qui constituent un accès à des services ou produis comme l’accès à une application, et les «asset-backed tokens», qui tirent leur valeur d’actifs du monde réel, comme des biens immobiliers, des métaux précieux ou des matières premières.

NFT: Jetons non fongibles (non-fungible tokens, NFT) sont des biens ou des unités de valeur uniques qui font référence à un objectif particulier, comme par exemple une œuvre d’art, ou un contrat. Ils sont non-interchangeables puisqu’ils n’existent qu’en un seul exemplaire.

Cryptomonnaies: Monnaies digitales qui  existent de manière numérique grâce à la cryptographie. Ces monnaies sont décentralisées, c’est-à-dire qu’elles se transfèrent directement de compte à compte sans l’intervention des banques classiques. Les deux plus connues sont le bitcoin et l’ether mais il en existe des milliers d’autres.

OpenSea et Blur: Plateformes de référence pour les NFTs avec la quasi-totalité des parts du marché, proposant de l’art numérique à l’immobilier virtuel.

Blockchain: Technologie de stockage et de transmission d’informations. Construites comme des chaînes de blocs, les différentes blockchains sont des bases de données transparentes et sécurisées qui contiennent l’historique de tous les échanges effectués entre ses utilisateurs depuis leur création.