Malgré la réforme adoptée l’an dernier, 2024 verra une nouvelle bataille s’engager autour de la prévoyance vieillesse. Avec les armes propres à chaque camp: calculette contre arrosoir.
Voilà un pilier qui porte bien son nom et son rang. Si vous pensiez échapper, après l’acceptation de la réforme AVS 21 l’an dernier, à toute prochaine réflexion sur l’épineux problème de la prévoyance vieillesse, c’est encore raté. En 2024, le fameux 1er pilier sera à nouveau soumis à la sagacité de citoyens électeurs, et plutôt deux fois qu’une.
Ce sera en mars avec deux initiatives franchement frontales. Celles d’abord des Jeunes radicaux qui, au prétexte que les caisses de l’AVS seront bientôt vides, proposent de relever l’âge de départ à 66 ans, et même plus en l’indexant peu à peu sur l’évolution de l’espérance de vie. Puis celle de la gauche et des syndicats qui, au prétexte que les mêmes caisses sont encore pour l’heure joliment pleines, suggèrent l’octroi aux assurés d’une treizième rente.
Deux visions sans doute trop sommaires s’affronteront donc ici. Une qui ne voit dans les citoyens en fin de parcours professionnel, que des fainéants pétant le feu et ne rêvant que de se tourner le plus vite possible les pouces, aux frais de la princesse, quitte à ce que la dite princesse se retrouve bientôt en slip.
Et l’autre qui, dans les mêmes personnes, ne voit au contraire que des créatures rincées, démoralisées après quatre décennies d’un épouvantable labeur, et qu’un seul jour de travail supplémentaire suffirait à faire tomber illico en poussière.
Notons ici, à l’inverse, au moins un avantage offert par AVS 2021, celui de favoriser un système de retraites à la carte plus conforme à la réalité, parce que tenant simplement compte d’une évidence: la diversité presque infinie des situations humaines.
Reste que l’initiative des Jeunes radicaux, dont les sondages indiquent pour l’heure qu’elle rebuterait plutôt le bon peuple souverain, repose au moins sur un mécanisme difficilement contestable: le meilleur moyen d’augmenter les rentes AVS est d’augmenter la masse salariale qui les finance, et la plus rapide façon d’augmenter la masse salariale est de travailler plus longtemps.
Sauf, on l’a dit, qu’un tel mécanisme se heurte à l’air puissant du temps, comme l’a souligné le chroniqueur économique Emmanuel Garessus dans Le Temps: «En Suisse, comme dans l’UE et aux États-Unis, on ne parle que de pénibilité du travail et de partage du travail au nom d’un soi-disant meilleur équilibre.» En gros, le travail ne fait plus rêver, ou ne représente en tout cas plus une solution capable d’être plébiscitée dans les urnes pour assainir les comptes de la prévoyance vieillesse.
À contrario, l’initiative de la gauche et des syndicats semble avoir pour l’heure la faveur des sondages. Cette treizième rente, octroyée à tous les bénéficiaires AVS fait grincer la droite des dents, qui qualifie la mesure d’arrosage automatique – même les retraités les plus riches en bénéficieraient – et à peu près infinançable.
Président de l’Union syndicale suisse et conseiller aux États, Pierre-Yves Maillard rétorque qu’il ne s’agit en tout cas pas d’un cadeau puisque en raison de l’inflation, et de la hausse des loyers et des primes maladies, les retraités perdraient déjà le montant d’une rente par année: «Cette 13e rente AVS ne fera que compenser les pertes de pouvoir d’achat.»
Le reproche d’arrosage est également écarté d’un revers de main: «L’AVS est un projet universel, pas une aide sociale.» S’agissant du financement, les initiants soutiennent que les réserves actuelles et à venir de l’AVS devraient suffire. Alors qu’à droite on brandit la menace d’une hausse d’impôts inévitable pour emballer le «cadeau».
De quoi donc, jusqu’au 3 mars, se gratter longtemps la tête, balancer entre étatisme généreux mais dépensier et aveugle coup de cravache libéral. Jusqu’à peut-être se demander si après tout, au bord du vertige, il ne serait pas judicieux de valider les deux projets: oui à une treizième rente, financée par un allongement de la durée de travail.