LATITUDES

«Poches» et les autres mots de janvier

Le langage révèle l’époque. Notre chroniqueuse s’interroge ce mois-ci sur l’usage des termes «poches», «captage» et «hyperpop».

Poches

Corsets, soutien-gorge, pantalons… Les vêtements figurent parmi les symboles de la lutte féministe. Les poches doivent y être ajoutées.

Au Moyen-Âge, toutes les tenues avaient des poches avant de disparaître du vestiaire féminin. «Autour du 18e siècle, s’est enracinée une partition genrée entre des vêtements à poches pour les hommes et des vêtements sans poches ou à poches juste décoratives pour les femmes», contraintes de porter un petit sac, explique l’historienne française Mathilde Larrère. C’est au tournant du 19e siècle et du 20e siècle qu’elles font l’objet de revendications. Les suffragettes américaines et anglaises avaient même inventé à l’époque un costume à plusieurs poches suffisamment larges pour ranger leurs tracts.

Un peu oubliées depuis au profit de revendications plus essentielles, les poches suscitent à nouveau un débat avec la parution d’un livre qui leur est dédié. Les vêtements pour femmes auront-ils des poches dignes de ce nom en 2024? Mécontentes de l’étroitesse des poches de leurs jeans, incapables d’accueillir leur smartphone, des militantes descendront-elles dans la rue pour revendiquer des poches fonctionnelles et non purement décoratives?

Captage

L’occurrence du mot captage dans les média a connu une forte progression depuis la COP28. Cet élément-clé en matière d’atténuation du réchauffement climatique, notamment pour les techno-solutionnistes et les lobbyistes des énergies fossiles, s’y est taillé une place prépondérante. Justifiée ou usurpée

Pour les uns, les technologies de captage et de stockage du CO2 sont très prometteuses. Elles consistent à capter le dioxyde de carbone dès sa source de production et à le stocker dans le sous-sol. Pour leurs détracteurs, elles sont énergivores, coûteuses, dangereuses pour l’environnement. Elles tiendraient du fantasme et évoquent l’achat d’une forme d’indulgence compensatrice. Se reposer sur la captation du CO2 détourne de l’action à mener urgemment: la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

À quand une COP qui sortirait le mot réduction de sa désuétude?

Hyperpop

Le monde de la musique se caractérise-t-il vraiment par sa difficulté à se renouveler? Défendue en 2011 par Simon Reynolds dans son ouvrage «Retromania», cette thèse semble aujourd’hui contredite par l’essor de l’hyperpop.

«Cette pop extrême pour des temps extrêmes» fascine Julie Ackermann qui lui consacre de subtiles pages dans la revue «Audimat». Pour la critique d’art, l’hyperpop «transforme ce qui nous plombe en diamants en usant d’une forme d’ironie déchue dans un monde où l’authenticité ne s’exprime plus au premier degré, mais uniquement à travers des formes artificielles (car elles seules existent)». S’y ajoutent son acceptation de l’artificialité comme condition naturelle, son usage des formes et des fétiches du répertoire capitaliste pour dévoiler le vrai visage du monde néolibéral. Le tout nimbé d’une qualité rare, l’autodérision. Soit une musique hyper intéressante parce qu’insaisissable, que l’on écoutera et sur laquelle on dansera en 2024.