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Une sombre affaire

La démission de la directrice de Ruag, l’entreprise d’armement aux mains de la Confédération, met à nouveau en lumière l’étrange intransigeance du Conseil fédéral à refuser toute aide militaire à l’Ukraine.

C’est une sombre affaire. On veut parler de la démission de Brigitte Beck, après seulement une année à la tête de l’entreprise d’armement Ruag. Rappelons que le Conseil fédéral est l’unique actionnaire de cette entité et que deux Conseillers fédéraux siègent au Conseil d’administration.

On semble reprocher à Brigitte Beck d’avoir fait miroiter à une entreprise d’armement allemande la possibilité d’acquérir des chars Léopard pour revente à l’Ukraine, avec un financement du gouvernement néerlandais, tout en sachant pertinemment que cela allait à l’encontre des directives du SECO et de la Confédération, qui effectivement, ont mis leur veto. L’affaire avait provoqué un pataquès diplomatique et mis en évidence aux yeux du monde l’intransigeance de la Confédération contre toute aide à l’Ukraine.

Mais pour le conseiller aux Etats Charles Julliard (Centre), Brigitte Beck «s’est fait taper sur les doigts, non pas à cause de sa conduite des affaires mais bien pour une question politique».

Ce qui est sûr c’est qu’au printemps dernier Brigitte Beck avait suscité la polémique en critiquant ouvertement cette politique de neutralité suisse décidée par le Conseil fédéral pour empêcher toute réexportation d’armes suisses vers l’Ukraine assiégée. Déclaration dont Ruag s’était aussitôt distancée, empêchant même la publication d’une interview, allant jusqu’à faire planer des menaces de poursuites judiciaires. Brigitte Beck avait dû s’excuser dans une lettre interne.

Ce qui tendrait déjà à démontrer déjà que non seulement le Conseil fédéral refuse toute aide militaire à l’Ukraine mais qu’il le fait avec un acharnement et une détermination qui a dû susciter l’admiration jusqu’au Kremlin.

Il suffit d’écouter le poutinophile conseiller national Jean-Luc Addor, membre d’une UDC ouvertement pro-russe: «On ne parle pas d’une entreprise comme les CFF ou La Poste. Il serait bon de savoir si le conseil d’administration de Ruag, a réagi assez tôt face à la prise de liberté de la direction.» Prise de liberté, en effet, on n’a pas idée. Ce n’est pas en Russie que des choses pareilles arriveraient.

Au contraire, pour la conseillère nationale PS Franziska Roth, il est «compréhensible que l’on essaie d’apporter un soutien aux pays européens et à l’Ukraine, (…) se cacher derrière la neutralité, c’est bien sûr facile, mais c’est la plus haute forme de manque de solidarité».

Le doute grandi d’un cran si l’on sait qu’une autre affaire place Ruag sous les feux de la rampe. L’histoire commence en 2018. Le Ministère public de la Confédération (MPC) avait ouvert une enquête contre Ruag pour violation de la loi sur le matériel de guerre. Des livraisons d’armes à la Russie étaient en effet soupçonnées, une Russie engagée depuis 2008 sur plusieurs fronts militaires  – Géorgie, Syrie, Donbass, Crimée.

C’était l’entreprise Ruag elle-même qui avait dénoncé la chose, soupçonnant un cadre de sa division munitions d’avoir organisé avec un responsable de la Russie chez Julius Bär, dans le dos de l’entreprise, un commerce d’armes de plusieurs millions et portant apparemment sur des équipements techniques et des armes pour le service de sécurité du potentat Poutine en personne. Avec dessous de table à la clef.

Or le MPC vient de rendre son verdict. L’ex-employé de Ruag est condamné à une peine pécuniaire avec sursis pour avoir perçu illégalement les fameuses commissions. En revanche, le même MPC affirme avoir n’avoir trouvé aucune preuve pour étayer le soupçon d’infraction à la loi fédérale sur le matériel de guerre. Toutes ces livraisons de munitions et d’équipements militaires auraient été dûment autorisées.

On n’ose évidemment penser un seul instant que la Suisse officielle interprète plus strictement la loi sur les exportations d’armes quand il s’agit de venir au secours de l’Ukraine martyrisée que lorsqu’il est question de commercer avec la belliqueuse dictature poutinienne.